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L'Oeil électrique #2 | Société / Boys Band: la faute à Toubon

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Par Cyril Bilbeaud.

Le 1er Février 1994 Jacques Toubon fait voter la loi n°9488 relative aux quotas d'expression française dans les radios (amendement Pelchat). D'une disposition de cette loi, résulte l'obligation de diffuser aux heures d'écoutes significatives, un minimum de 40 % d'œuvres musicales crées ou interprétées par des artistes français ou francophones, la moitié au moins de nouveaux talents ou de nouvelles productions. Ce quota devait être atteint avant le 1er janvier 1996 par chacun des services de radiodiffusion sonore autorisés par le conseil supérieur de l'audiovisuel, pour la part de ses programmes composée de musiques de variétés.
Sur le papier, une tentative honorable de défense de notre belle langue contre les perfides assauts des hordes anglo-saxonnes. On redonne foi à tous les programmateurs, envoûtés par le chant des sirènes venues d'outre-Manche et d'outre-Atlantique, et à ce public qui retrouve les vraies valeurs et découvre les espoirs de notre patrimoine musical.

Après une année complète d'application de cette loi, nous sommes en mesure d'apprécier ses véritables implications : l'art aurait-il à présent ses frontières ?
Il n'en n'est rien, ici, pas question d'art mais d'économie et de politique, pas question d'artistes, mais de produits. On abandonne la notion de culture à celle de consommation. Il suffit de parcourir la Lettre du CSA de janvier 97 pour se conforter dans ce point de vue. Son bilan s'axe uniquement sur les gros réseaux radiophoniques commerciaux et les majors de l'industrie du disque (les seules organisations qui comptent économiquement).
Mais les différents intéressés s'inscrivent bien sûr tous dans une logique de protection de la "production française". Or, au vu des législations européennes, "les lois ne doivent pas causer de restriction à la libre circulation des services fondés sur la nationalité", autrement, c'est du protectionnisme. Donc, le gouvernement sort la carte de l'exception culturelle (comme pour le cinéma et la télé). On est véritablement dans une problématique politique, et pour se dédouaner, on brandit "Jacques Brel, Jane Birkin ou Céline Dion" en mettant bien l'accent sur le fait que ce n'est pas une manœuvre politico-économique, mais une défense de la langue.
Il est clair que notre culture est menacé par ce qu'on pourrait appeler : "l'impérialisme économique étranger". Comme le souligne le CSA, "le faible taux de présence de la chanson d'expression française sur les radios tenait avant tout à des facilités de programmation, dans un environnement dominé par une production anglo-saxonne disposant de moyens de distribution et de promotion sans commune mesure avec la production francophone". Mais la culture est autant, si ce n'est plus, véhiculée par la musique que par la langue employée. Cela revient à dire "je vais chez "Marc Donald" m'envoyer un "menu Gros Mac"... et vive la francophonie.

D'autre part, selon les radios, en particulier celles s'adressant à un public jeune, "la faiblesse de ce taux n'était que le résultat d'une production jugée "notoirement insuffisante" en quantité, en qualité et en diversité". Pour la quantité, quand on se limite à diffuser les n°1 des charts UK, US et Top 50, il est certain qu'on peut être amené à manquer de cartouches. La qualité ? Exigez le label " vu à la télé, écouté chez le voisin et tu peux même l'emporter en vacances. " Et concernant la diversité, au vu du déferlement rap sur les grandes ondes, il est flagrant qu'il s'agit d'une valeur incontournable de ces stations. Propos langue de bois donc, provenant de radios commerciales qui ne laissent aucune place à la découverte (cf. la manière dont les playlists sont déterminées : par ordinateur et avec des panels d'auditeurs dont l'opinion est prise en compte après une seule écoute de quelques secondes). Il y a une aujourd'hui une grande quantité d'artistes français divers et de qualité qui ne passent pas plus en radio, malgré les quotas. "Ces radios exprimèrent donc sous cet argument de fortes oppositions à la loi, estimant que le seuil de 40% était inapplicable, voire dommageable". Il est évident que la loi est dommageable, puisque la question du format n'est pas prise en compte (par format, on entend le style de programmation musicale de la radio). Effectivement, une radio de format "rock" aura du mal à trouver un nombre suffisant de groupes ou d'artistes "rock" de qualité pour atteindre les 40 %. Étonnamment, c'est la Cour de Justice des communautés européennes qui s'inquiète sur "les raisons pour lesquelles la loi de 1994 n'a pas prévu de moduler les obligations en fonction du format.". La raison est simple : fabriquer de la demande. Pour atteindre les 40% tout en préservant leur format, les radios devront trouver un " complément " de nouveaux artistes, que les maisons de disques devront proposer. Aussi, "afin de ne pas bouleverser de façon brutale les habitudes de programmation des opérateurs, la loi avait prévu une période de montée en charge de la diffusion de chanson française, jusqu'à janvier 96. Au cours de cette période transitoire, le CSA s'est attaché à rechercher , en concertation avec les professionnels concernés (créateurs, éditeurs de phonogrammes, sociétés d'ayants droits, radiodiffuseurs) des solutions simples et modulées, permettant de concilier la diversité des formats radiophoniques et les obligations fixées par la loi". En clair, il n'y avait pas assez de tubes potentiels en français pour permettre aux radios de pouvoir respecter leurs formats. Soumis à des contrôles draconiens, les radios ont commencé à se faire taper sur les doigts. C'est là qu'entre en jeu la nécessité de concertation avec les maisons de disques. On a vu soudain arriver une flopée de chansons françaises calibrées 100% tubesques : de la pure fabrication industrielle arrangée entre les radios commerciales et les majors, avec pour cible les 9-18 ans. Un exemple flagrant : la vague rap, avec quelques artistes de qualité et beaucoup de déchet, mais le tout bien formaté. De l'avis des professionnels, on aurait tôt ou tard assisté à cet avènement rap, la loi n'a été qu'un accélérateur permettant aux directeurs artistiques de placer plus rapidement leurs poulains dans la course.
On en arrive donc à un schéma très simple: de gros réseaux qui traitent directement avec les maisons de disques pour trouver la quantité nécessaire au bouclage de leurs quotas. D'un point de vue comptable, la politique s'avère efficace. Les majors ne tardent pas à aller dans le sens de la loi et signent à tour de bras. Les six principales sociétés discographiques françaises (BMG France, EMI France, Polygram Music, Sony Music, Virgin France, Warner Music) prennent un ensemble d'engagements en matière de production francophone (avec augmentation du nombre d'albums francophones commercialisés, accroissement des investissements marketing/production/promotion sur les artistes et nouveaux talents francophones). Les majors se sont par ailleurs engagées à renouveler ces efforts en 1997 et 1998. Pourquoi se priver, quand on sait qu'on a 40% de chance que 40% des nouveaux artistes marchent grâce aux 40 % d'exposition médiatique supplémentaire qui sont proposés ?
Aussi, selon le CSA, "après une année complète d'application de la loi, le constat est largement positif. Les radios dans leur grande majorité ont respecté leurs obligations (bon gré, mal gré, Ndlr). Non seulement celles-ci n'ont entraîné ni baisse d'audience, ni dégradation de la programmation, comme le pronostic avait pu en être fait, mais elles ont de toutes évidence contribué au développement et au renouvellement de la production discographique des artistes francophones".
Mais qui sont donc ces nouveaux artistes francophones, fruits de ce développement ? Qu'est-ce qui est arrivé de vraiment nouveau et qui passe en radio depuis cette loi ? Les boys bands... une apogée artistique dans le genre.
Le résultat ? " Dès 95, lors de la montée en puissance de la loi des quotas, la part de la variété francophone dans les ventes de disques de variétés progressait de 50,5% à 51,3%. Même si, d'après les professionnels, les principaux bénéficiaires de cette progression était des artistes confirmés (Francis Cabrel, Johnny Hallyday, Céline Dion, Jean-Jacques Goldman... merci pour eux - signé : les nouveaux talents). On ne peut rien y faire, certaines radios programmeront toujours les mêmes "valeurs sûres". "
La politique des radios commerciales a toujours été de programmer des valeurs sûres tous styles confondus. Il faut proposer des artistes qui correspondent à coup sûr aux goûts du public. C'est la loi de la masse qui prime, le nivellement par le bas. Les variétés sont défendues, la diversité, elle…
"En 1996, les résultats observés sur les 9 premiers mois montrent qu'en ce qui concerne les ventes d'albums, sur un marché globalement en recul de 3% par rapport à l'année précédente et alors que les ventes de variétés internationales régressent de 7,8%, les variétés françaises enregistrent une progression de 2,5%"... C'est une réussite pour le gouvernement et le SNEP, la part d'artistes nationaux a remonté dans les ventes, même si les ventes en général continuent de baisser, on vend moins, mais on vend français Monsieur...
Et la part de l'artiste dans tout ça ? Hormis les gros artistes, les groupes de rap et les boys bands, on assiste à un certain regain de la chanson francophone, aussi pour des facteurs extérieur : le retour au musette, en partie dû, sur Paris comme ailleurs, au problème de nuisances sonores dans les lieux non insonorisés (bar, cafés-concerts), contraignant à l'utilisation d'instruments acoustiques. Il y a un esprit lié au folklore local, en Bretagne par exemple (Tri yann, Dan Ar Braz, Alan Stivell, l'avènement de la World music en général qui génère plus d'intérêt pour les musiques traditionnelles, et finalement, tout ça fait que beaucoup plus d'artistes utilisent le français dans une tradition de chanson réaliste. Autant d'éléments extérieurs, à qui la loi a bien sûr servi mais qui n'en sont pas les fruits.
Dans cette histoire, il n'y a à aucun moment la volonté de faire correspondre la loi à la réalité artistique : l'artistique on s'en fout. C'est un problème politique et économique. Il s'agit d'une simple tentative de relance de l'industrie musicale française. Si on fait une moyenne des programmations francophones de toutes les radios en France, on en arrive à 70-75% d' expressions françaises (certaines radios ne passent que du français), ce qui est énorme. La loi a simplement obligé les trois gros réseaux à passer du français. Mais si les gamins veulent écouter les Spice Girls ils écouteront les Spice Girls même avec 80% de quotas : c'est un problème culturel.
Dans un circuit où la qualité n'entre pas en ligne de compte, on pourra toujours se vanter d'avoir les meilleures artistes français d'expression francophone du monde. Donc tout va bien, la chanson française se porte mieux... dans les chiffres en tous cas. Les boys bands cartonnent. Le bilan est laaaaaargement positif.



Le gouvernement se félicite du fait que les ventes d'artistes d'expression française ont augmenté de 52%, sur le 1° semestre de l'année 96, période durant laquelle Céline Dion a vendu 3,5 millions d'albums : c'est une production américaine.
Est considéré comme nouveau talent, tout artiste censé ne pas avoir vendu plus de 2 disques d'or ... C'est bien connu, avoir un seul disque d'or, c'est ridicule. Pas l'ombre d'un semblant de reconnaissance du public.
Si on se réfère au classement des artistes les plus diffusés, on trouve Francis Cabrel en première position (information recueillie alors que son dernier album était sorti depuis plus de deux ans). On compte également Serge Gainsbourg dans les cinq premiers... Rien que de l'innovation on vous dit. On comprend que Francis Cabrel se soit lui-même étonné de cet état de fait. Il serait personnellement intervenu pour qu'on cesse de le diffuser. Place aux jeunes.