NOUVELLE / LA BALLADE DE SIMON NULLEPART
Par Phillipe Ayraud. "How does it feel,
How does it feel,
To be on your own
With no direction home
Like a complete unknown
Like a rolling stone…"
Bob Dylan, Like a rolling stone
Simon Nullepart erre dans les couloirs du métro un peu hagard vagu'ment parano au moindre bruit il sursaute mais c'est rien qu'la vie qui l'entoure l'enlace et le dépiaute ; lentement en prenant bien son temps, un peu comme le ferait un chat d'une souris.
Propulsé par la masse des petites vies pressées d'aller se faire baiser en beauté et au boulot il passe et repasse sans même le voir devant un guitariste allumé qui balance à pleins watt à la foule qui s'en balance un vieux standard de Bob Dylan Mais où vont ces files ces sans domiciles cette foule sans nom ces exclus que l'on foule toutes ces épaves qui croulent dans un monde qui s'écroule sous des pierres qui roulent ôôôh… Ce matin à l'A.N.P.E. on lui a dit qu'on recrutait chez les keufs mais pas question d'être un képi, être dans un car un carrefour, faire la circulation, se faire traiter de con par tous les beaufs, les abrutis et même les autres plus subtils la Gauche Petit Four qui disserte sur sa perte d'identité et qui ne rêve que de l'encarter non merci très peu pour lui.
Au pied de l'escalier elle est là elle est belle, il a été surpris par ses yeux bleu-gris on dirait la mer qui s'étale sur ces aquarelles de cartes postales qu'il n'a jamais envoyées parc'que la mer il n'y a jamais mis les pieds même pas trempette ou week-end bronzette par contre les deux pieds dans la merde ça y pourrait raconter mais ça intéresserait qui je vous le demande un peu où plutôt non y demande rien parc'que même ça hein, ça mène à quoi ?
A ce stade du récit où il s'arrête et je continue ou il continue le chemin et c'est moi qui m'arrête et ça m'arrangerait parce que je ne sais pas non plus très bien où je vais avec cette histoire qui ne peut pas en être une j'aurais préféré Amour Gloire et Beauté comme on dit sur la Une. Mais on se demande quand même pourquoi il continuerait Simon sinon au nom d'une logique un peu bizarre d'un principe que résume bien cette expression à la con la vie continue the show must go on pendant qu't'y es où pour quoi comment no comment cherche pas, va ! Et va de l'avant et paradoxalement pour aller de l'avant dans la situation susmentionnée il faut qu'il s'arrête.
Toutes ces digressions ont eu au moins le mérite de laisser se mettre en place l'action qui maintenant se précipite. Simon s'apprête à aborder les yeux bleu-gris. Elles dansent dans sa tête les entrées en matière, ça va du " vous marinez du hareng ? " comme il avait dragué son ex, celle qui l'a plaquée pour un p'tit chef (de chantier), à la supplique boy-scout tendance Saint-Ex " S'il te plait, dessine moi un mouton ". Mais on a beau s'appeler Simon Nullepart, on est quand même à la croisée du hasard et de la nécessité et c'est sans vergogne qu'il balance à la môme qui brusquement s'est figée quelques vers de Lavilliers (Bernard) :
" Oh mon amour emporte moi
Emporte moi loin de la zone
Vers des pays lointains
Vers des pays tranquilles
Vers des pays… dociles ! "
Il s'attend à tout Simon, à l'air dégoûté au sourire pincé laisse moi passer connard et continue ton ch'min, à la main sur la figure ça s'rait quand même un peu dur mais certainement pas au cran d'arrêt qui jaillit du bras de la madone et qui lui tranche l'aorte d'un geste aussi vif qu'un maire de Vitrolles foutant le délégué syndical à la porte.
Des infirmiers en blouse surgissent sur le quai du métro et prennent gentiment par l'épaule une jeune fille au teint pâle et au regard hagard vagu'ment parano. Tandis qu'on l'emmène des képis de Police Secours tentent vainement de porter secours à Simon Nullepart qui se dit mais c'est un peu tard qu'il aurait peut-être dû ce matin à l'A.N.P.E. accepter de passer ses journées dans un car ça lui aurait peut-être évité de repartir ce soir dans le même genre de fourgon mais conduit par des pompiers.
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