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L'Oeil électrique #20 | Plates-formes / La librairie Alphagraph

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Par Arno Guillou.
Photos : Arno Guillou.

Face à un manque de librairies proposant des ouvrages de qualité édités en petites quantités, voire des auto-éditions, Jérôme Saliou a créé la structure de diffusion Alphagraph, à Rennes. Rouage nécessaire entre les petits éditeurs et le public, ce type de commerce permet la diffusion d'une culture essentielle, cependant proche de l'underground car peu accessible ailleurs. Ouvert il y a moins de deux ans, le magasin est spécialisé dans les arts graphiques au sens large du terme. Ainsi, les ouvrages édités par Le Dernier cri, 6 Pieds sous terre, Les Requins marteaux, y côtoient les livres de photos de Michael Ackerman ou d'Antoine D'Agata. Mais plus loin, une biographie de Sonic Youth, la collection complète des œuvres de Jean-Bernard Pouy ou les nouveautés sur les situationnistes confirment que le bonhomme est un passionné, et que les arts graphiques, revendiqués dans le nom de la librairie, ne sont qu'une facette de ce que Jérôme présente.

Comment t'est venue cette idée de monter une librairie diffusant des livres de structures indépendantes ?
J'ai travaillé pendant quelques années à Paris dans une librairie où l'on avait la possibilité de présenter des ouvrages issus de petites maisons d'édition. Comme c'était une structure relativement commerciale, il fallait qu'on travaille essentiellement sur les grosses ventes. Mais on avait aussi la possibilité de montrer autre chose. Ça m'a permis de me rendre compte qu'il y avait pas mal de petites structures d'éditions qui existaient. Quand je suis revenu à Rennes, j'ai cherché une place dans différentes librairies. En faisant vraiment le tour, je me suis rendu compte que ce que j'aimais bien n'était absolument pas représenté ici. Deux optiques se sont donc présentées à moi : me plaindre ou monter mon magasin. J'ai pensé qu'il était possible de créer une librairie qui diffuserait tout ce qu'on ne retrouverait pas ailleurs.

Pourquoi les arts graphiques ?
C'est de l'intérêt personnel. Au départ, c'était un petit peu parti de ma connaissance de la bande dessinée indépendante, ou plutôt des petits éditeurs. Puis j'ai réalisé que ce serait absurde de ne faire que ça. J'avais d'autres centres d'intérêt au niveau artistique, comme le design graphique, la photo, les livres sérigraphiés... Je pouvais donc faire quelque chose sur le graphisme en général. J'y ai ensuite rajouté un rayon littérature avec une sélection là aussi personnelle.

Pourquoi revenir en province, à Rennes, plutôt que de rester à Paris, où le lieu aurait certainement pu être plus viable ?
C'est un choix personnel et familial.

Tu savais s'il y avait une demande dans le coin ?
Je n'ai absolument pas pu faire ce qu'on appelle une étude de marché. Ne sachant pas s'il y avait de la demande, c'est donc moi qui ai proposé une offre. Ça a été un problème lors de la recherche des financements. Ma démarche était un peu compliquée à expliquer aux banques. Mais je savais qu'à Rennes, il y avait un certain nombre d'éditeurs indépendants de BD, je supposais donc qu'il y avait une demande.

Comment définirais-tu ton métier : libraire indépendant, libraire underground ?
Je suis un libraire indépendant : au niveau du capital, il n'y a que mon apport personnel. Personne n'a à me dire quoi que soit, je n'ai de compte à rendre à personne. Il existe bien sûr d'autres librairies indépendantes, que ce soit à Rennes ou partout ailleurs. Mais dans les indépendants, certains prennent l'optique de travailler sur du livre commercial, et d'autres non. Quant à l'expression librairie underground, je n'aime pas vraiment ce terme. J'ai un peu envie de couper la tête à cette idée que pour vendre de l'underground, il faut que le lieu ressemble à un boui-boui, mal rangé. Je veux que mon magasin ressemble à une librairie des plus normales.

As-tu une formation dans le métier du livre ?
Du tout ! Après des études à la fac de Lettres de Rennes, je suis parti sur Paris où j'ai été embauché tout de suite. Cependant, ça n'a pas de rapport, j'aurais pu faire un autre cursus universitaire. J'ai été engagé parce que j'avais travaillé auparavant dans des bibliothèques, entre autre une bibliothèque associative spécialisée en BD à Quimperlé pendant un certain nombre d'années. Ensuite à la fac, j'ai travaillé à la bibliothèque universitaire.

As-tu un passé dans l'édition ou le dessin ?
Non. Ça m'intéresse au plus haut point mais je ne dessine pas. J'ai découvert la BD quand j'étais petit, mon père me lisait trois pages de Tintin le soir ! Vers 14 ans, j'ai continué à découvrir les classiques dans la bibliothèque associative où je travaillais. Je n'ai connu la BD indépendante que sur le tard, en arrivant sur Paris. Quelle claque ! A Rennes, ça n'était pas représenté donc je ne connaissais pas.

Concrètement, est-ce que ton magasin est viable face aux supermarchés FNAC-Leclerc-Virgin et aux grosses librairies généralistes ?
Pour l'instant, j'ai des livres qu'ils n'ont pas… Mais je sais qu'à terme, une fois qu'ils se seront rendu compte du potentiel commercial de la nouvelle vague de la bande dessinée, ils s'y mettront tous. (dans les années 90, cette nouvelle vague regroupe de jeunes auteurs utilisant essentiellement le noir et blanc, ayant un goût prononcé pour l'autobiographie, et proposant un travail en rupture à la fois avec la bande dessinée commerciale et avec les auteurs de BD indépendante des années 70, tels Tardi ou Bilal ou plus généralement ceux de journaux comme Métal Hurlant, Charlie Mensuel ou L'Echo des Savanes). Ce rayon est celui qui marche le mieux ici. On verra bien…

Tu as dit que lorsque tu as commencé, c'est toi qui proposais une offre. Maintenant as-tu une demande ?
Oui. Sur des bouquins politiques, par exemple, auxquels je n'avais pas pensé. Ça me permet de fouiller aussi dans des nouveaux catalogues.

Le rapport avec les gens qui viennent chez toi semble différent de la relation client/commerçant habituelle.
Avec un magasin de 20 m², en ayant lu les livres présentés, et en prenant plus le temps de discuter avec les personnes qui rentrent ici, le rapport est effectivement différent que dans une plus grosse structure. Cependant les grosses structures ont aussi leur intérêt. Et je reste persuadé que certains plus gros libraires connaissent les bouquins qu'ils vendent. Tout n'est pas si caricatural. Seulement, les éditeurs sortent 350 bouquins par an : il est évident qu' une grande structure voulant être exhaustive dans ce qu'elle propose ne peut pas tout lire. Moi j'ai fait une sélection préalable : je ne prends que des bouquins qui m'intéressent !

Est-ce aussi un acte de résistance d'ouvrir un magasin comme le tien, avec les titres qu'il propose et ton rapport à la clientèle ?
…(longue réflexion)... Un peu... A partir du moment où je refuse de mettre en avant des objets commerciaux pour proposer uniquement ce que j'aime, c'est finalement résister à la culture de marché. Une culture qui fait qu'on fonctionne en vendant du best-seller, du bouquin commandé par piles, quitte à faire des retours après… Je ne sais pas si c'est une résistance, parce que ce n'est pas moi qui vais créer le moindre changement au niveau du marché du livre, mais c'est une alternative.

Tu n'as pas le dernier Astérix ?
Non, et tu n'es pas près de le trouver à Alphagraph !

Tu as pas mal de fanzines ici, c'est assez intéressant d'avoir un lieu qui centralise tout ça.
Mais je ne centralise pas ! C'est comme pour toute édition, il y a du très bon et du mauvais. Donc là aussi je fais un choix ; il faut toujours revenir à un réalisme économique : ceux que j'estime moyens et qui ne partiront pas, je ne les prends pas.

Peux-tu parler de Chez Jérôme Comix ?
C'est un fanzine qui est vendu uniquement dans le magasin ou sur correspondance. Une bonne partie des dessinateurs indépendants rennais travaille dedans, et ils l'ont créé seulement sur leur initiative, je n'y suis pour rien (Aller à Alphagraph se dit aussi aller chez Jérôme).Il coûte 5 francs, un peu plus sur envoi. Il est hebdomadaire, et cette périodicité leur implique de faire des planches, en ayant un recul différent de celui de faire un bouquin. Ils font des choses plus expérimentales. Et ça marche bien, manifestement : on en est à la vingt-deuxième semaine ! Au début, ils sont passés séparément ici. Ils m'ont parlé de Spon, une revue belge hebdomadaire de BD, et le jeudi d'après ils m'ont apporté le numéro 0.

Comment se situe Alphagraph dans un système économique de diffusion ?
Mon poids est carrément négligeable. Ça se ressent au niveau des pourcentages de réduction que me font les éditeurs, et qui feront la marge financière sur laquelle je vais gagner de l'argent. Les petites structures comme la mienne font des petites commandes. En conséquence, les marges sont moindres pour moi que pour un grand magasin genre FNAC. Il n'y a qu'avec les éditeurs indépendants que j'ai des tarifs avantageux : ce que je diffuse d'eux est loin d'être négligeable par rapport à leur production. Mais pour les grands éditeurs, dépendant généralement de Hachette ou Vivendi, je suis un microbe. Mes marges sont donc moins importantes que celles des grandes librairies qui leur font des commandes en gros, centralisées pour tout leur réseau français.

A propos de réseau, travailles-tu toi-même en réseau avec d'autres librairies indépendantes ?
Non… Enfin si, juste sur la ville. Avec d'autres libraires, on a monté A LIRE, Association des LIbrairies Rennaises. Mais on ne peut pas dire que ça ait des retombées. Au départ c'était pour faire la promotion des librairies indépendantes face aux grosses structures. On avait sorti une plaquette montrant qu'il y avait suffisamment de librairies indépendantes dans une ville comme Rennes pour qu'on présente, sur chaque spécificité, plus d'ouvrages que les grosses librairies. Mais justement, vu que chacun est indépendant, c'est dur d'avoir des actions communes qui correspondent aux intérêts de tout le monde…

Tu connais d'autres librairies en France, qui fonctionnent un peu sur le même principe ?
La Mecque, c'est Le Regard moderne, près du Métro St Michel à Paris (10, rue Gît le Cœur, dans le sixième arrondissement), qui est quand même assez différent : il n'y a pas de design graphique, et puis c'est plus pointu qu'ici. Une autre a fermé à Nantes, une autre à Rouen. Je dois dire que c'est assez difficile : j'imagine que moi-même, si au bout de 5 ans je travaille toujours 6 jours par semaine sans vacances dans l'année, pour gagner l'équivalent du RMI, j'aurai peut-être une lassitude. Pour l'instant il n'y a aucun problème, je suis totalement motivé ! Mais dès le départ, je savais aussi que je ne m'enrichirais pas en faisant ce métier. Cependant je m'y fais plaisir : sachant que pour moi, ce que je fais ici c'est ma conception de la librairie, je ne peux pas espérer plus en terme de satisfaction personnelle que ce que je fais. Sauf si ça se plante !

Alphagraph
5, rue d'échange
35000 Rennes
tel/fax : 02 99 79 74 20