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L'Oeil électrique #21 | Société / Guérilleros oubliés

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Par Pierre Bousseau.
Photos : Pierre Bousseau.

1936, la guerre contre le fascisme en Europe commence en Espagne. Neuf ans plus tard, les Nazis capitulent devant les Alliés. L'Espagne, elle, est laissée aux mains de la dictature de Franco. Vainqueur de la guerre civile en 1939, celui-ci ne rencontre ensuite pour seule résistance que celle des guérilleros espagnols. Fuyards, militaires fidèles au gouvernement de la République en exil, déserteurs, communistes, socialistes et anarchistes, ces combattants ne reçoivent aucun soutien logistique des Alliés. Comptant selon les historiens entre 5 000 et 8 000 guérilleros, ce mouvement éclaté sur le territoire ibérique ne sera jamais en mesure de faire fléchir le régime franquiste. Harcelés par la Guardia civil, les guérilleros sont contraints à l'exil, finissent dans les geôles franquistes ou sont fusillés. Aujourd'hui, ils restent des parias de l'histoire du vingtième siècle. La démocratie espagnole a attendu plus de 25 ans avant de leur reconnaître le titre de "combattants de la liberté" en mai 2001. Une tardive victoire pour des résistants qui n'ont jamais courbé l'échine. Le témoignage de deux d'entre eux souligne ici en filigrane la culpabilité des nations alliées dans le maintien au pouvoir de Franco durant plus de 35 ans.

José Murillo, commandante Ríos
Le guérillero aux cinq balles dans la peau
José Murillo, alias le commandant Ríos, n'a que 17 ans en 1940 quand il fuit dans la montagne andalouse et rejoint la guérilla de la sierra Morena aux côtés de son père.

Quelle était votre situation à la fin de la guerre civile ?
Je travaillais comme paysan avec ma famille dans le village d'El Viso, dans la province de Cordoue. Au début de l'après-guerre, les phalangistes (la Phalange était une organisation politique inspirée du fascisme italien, jouant un rôle décisif à l'arrivée au pouvoir de Franco) s'appropriaient les terres, le bétail. Un jour ils sont venus à quatre. C'était des jeunes du village, quatre malheureux, des ouvriers comme nous, qui s'étaient embrigadés dans les phalanges. Ils nous ont expropriés.

Du jour au lendemain, vos parents n'avaient plus rien ?
Exactement. Ils nous ont donné 24 heures pour déguerpir. Mon père et moi sommes partis chercher du travail. (Pendant quelques temps, José Murillo et son père travaillent dans une exploitation agricole dans les contreforts de la montagne) Mon père a appris qu'on le soupçonnait de cacher des armes. Un jour où il était descendu au village, le chef des phalangistes lui a conseillé de fuir, d'aller dans la montagne.

D'une certaine manière, c'est le chef des phalangistes qui a incité votre père à rentrer dans la guérilla ?
Oui, enfin à sauver sa vie. Il savait qu'on accusait mon père à tort. Mon père a décidé de m'emmener avec lui car comme j'étais l'aîné, il savait qu'ils me feraient payer sa fuite. On s'est rendu à la petite maison où était la famille. Sur le pas de la porte, j'ai regardé ma mère, mes frères et sœurs, j'ai fait demi-tour et j'ai pleuré. Mon père a fait de même. Nous n'avions pas les mots, nous n'avons pas su comment leur dire au revoir. Je ne pourrai jamais oublier cela.

Vous devenez un fugitif. Dans la montagne, vous avez rencontré beaucoup de personnes en fuite ?
Oui, les hommes qui n'avaient pas voulu se rendre ainsi que ceux qui s'échappaient des prisons bondées. Ils étaient pour beaucoup envoyés aux travaux forcés, à la campagne, et beaucoup s'échappaient.

On vous a accepté facilement dans la guérilla ?
Oui... Bon, le premier groupe de 7 ou 8 guérilleros que nous avons rencontré nous a demandé ce que nous faisions là. Ils ont vérifié notre histoire. La première chose que l'on m'a donnée, c'est un mousqueton russe et une cartouchière pleine. Le mousqueton était plus haut que moi, ce qui faisait rigoler tout le monde. Je n'étais qu'un gamin.

Comment viviez-vous dans la montagne ?
Le Rassemblement de guérilleros était composé de bataillons, de compagnies qui étaient les "guérillas". J'ai été nommé chef de guérilla à 18 ans. Notre vie était alors une vie de survivants. Dans la survie, tu ne recherches pas les chocs frontaux avec l'ennemi.

Combien de personnes y avait-il ?
Dans la montagne où j'étais, du côté de Ciudad Real, on était 500 à 600 guérilleros répartis dans la montagne par groupes de 6 à 8 personnes pour pouvoir nous camoufler plus facilement. On faisait des campements dans la montagne, dans la partie la plus haute où n'allaient que les bouquetins. On avait des tentes, une hutte en bois. On mangeait beaucoup de lentilles, avoine, fromage… On arrivait à faire venir des mules chargées de blé, de farine, de pois chiches…

La fin de la deuxième guerre mondiale a-t-elle marqué un tournant pour la guérilla ?
En 1944 tout le monde savait, pas seulement en Espagne mais dans le monde entier, que la guerre mondiale allait s'arrêter et que le dernier résidu gouverné par le fascisme, c'était l'Espagne de Franco. Et qu'il fallait l'attaquer. A la guérilla de la sierra Morena, nous arrivaient les circulaires de l'ambassade anglaise par nos agents de liaison. Churchill nous a transmis un message disant : "Valeureux combattants guérilleros de la sierra Morena, résistez ! A Tanger, il y a un bureau de recrutement pour que quiconque puisse s'incorporer à la lutte contre le dernier coin du fascisme qu'est Franco." Ils devaient débarquer à Malaga, sur les côtes andalouses. On a donc patienté. (il tape du poing sur la table) Et quand cette guerre mondiale se termine, on apprend que le comité d'intervention allié interdit au gouvernement de la République de recevoir de l'armement, notamment des pays communistes.

Vous avez découvert la politique dans la guérilla ?
Je suis né à la campagne, je n'avais pas entendu parler de politique de toute ma putain de vie. J'ai adhéré au Parti communiste dès mon entrée dans la guérilla, mais je n'avais aucune fichue idée de la différence entre un socialiste, un communiste, un anarchiste et un républicain. Là, dans la montagne, ce qui prime c'est ton comportement avec les gens avec lesquels tu dois lutter, dans cette tragédie très longue et calamiteuse. A 18 ans, on m'a nommé chef de guérilla parce qu'en pleine nuit, quand tu ne sais pas où se trouve le nord ni le sud, j'étais capable de nous orienter, même si je savais à peine lire et écrire.

Votre travail quotidien consistait surtout en un travail de propagande, de recherche de financement, et au final peu d'accrochages...
Exactement. Les accrochages avec la Guardia civil étaient finalement rares. On allait rendre "visite" aux grands propriétaires et aux responsables politiques locaux comme le président de la députation de Cordoue (équivalent du préfet), Don Henrique Saliver, en 1945-47. Lui était monarchiste, donc en théorie ne soutenait pas le régime. On lui a dit qu'il fallait qu'il choisisse entre la guérilla et Franco. Et il s'est mis à notre service en nous aidant économiquement.

Comment votre père est-il tombé ?
Mon père a été gravement blessé lors d'un combat. Il a été amené à l'hôpital par la Guardia civil, mais le responsable de celle-ci n'a pas voulu l'y laisser car il avait peur que la guérilla ne vienne le libérer. Ils l'ont donc mis en prison. On a retrouvé mon père, selon la version officielle, pendu du haut de ses barreaux. Je suis convaincu qu'ils l'ont tué.

Comment avez-vous été blessé ?
C'était en 1947, et j'allais avec trois autres compagnons vers la partie de Huelva pour trouver une nouvelle zone, vu que la guérilla était déjà pratiquement défaite dans la sierra Morena. Je suis tombé, blessé dans un combat de nuit où la Guardia civil fuyait d'un côté, mes compagnons de l'autre. Tous me tenaient pour mort.
Quand je me suis réveillé, j'avais cinq balles dans le corps... que j'ai encore aujourd'hui. J'ai eu la chance qu'un berger qui passait avec son troupeau me découvre. Ensuite c'est Pépita, sa fille de 18 ans, qui m'a transporté à leur maison et soigné. C'est une chose que je ne pourrai jamais oublier. Elle m'a sauvé la vie. Cette famille je leur dois tout.

Pourquoi n'avez-vous pas essayé de retourner dans la guérilla ?
Parce que j'étais blessé.

Et que la situation en Andalousie, en 1947, avait changé, non ?
Oui bien sûr. La guérilla andalouse, c'était fini. Mes compagnons cherchaient une voie de sortie et, quand ils ont appris que j'étais sain et sauf, ils ont donné de l'argent à ma famille d'accueil pour continuer à me cacher. Et c'est ainsi que je suis resté, travaillant là-bas sous une fausse identité dans une usine d'huile, dans le jardin, aidant la famille qui m'avait accueilli.

Comment avez-vous été découvert ?
Un des ex guérilleros qui composaient ma guérilla a été arrêté. On lui a donné le choix entre donner des informations à la Guardia civil ou finir au cimetière. Et lui il leur a dit où je me trouvais. Et c'est ainsi qu'ils m'ont découvert.

Comment êtes-vous parvenu à échapper au peloton d'exécution ?
Dans la prison de Séville, je suis resté deux ans et demi dans la cellule des condamnés à mort sans en sortir ni le jour ni la nuit, une cellule dont tu sors aveugle, fou ou mort… J'ai été sauvé par un prêtre, cousin d'un de mes compagnons de détention, qui a fait pression pour moi.
Le jour du procès, la plaidoirie s'est basée sur le fait que j'avais suivi mon père étant encore mineur. Je suis passé devant un conseil de guerre. Finalement, la peine capitale a été levée et ils m'ont condamné à 30 ans de prison. J'en ai fait 15.

Aujourd'hui vous menez "la guérilla de la mémoire" ?

Oui. On veut que la société espagnole paye sa dette envers le collectif de guérilleros. Moi, entre la guérilla et les années de prison, j'ai donné vingt-quatre années de ma vie. Mais aujourd'hui pour mes années cotisées, je ne touche que 50 000 pesetas (2 000 francs). Pour ma période en prison, on m'a versé d'un coup 1 million 600 000 pesetas (64 000 francs). Ce n'est rien. En Europe, les victimes du nazisme et les résistants ont touché de véritables indemnités. Pas ici.

Et la fille du berger qui vous a soigné ? Il y avait bien quelque chose entre vous, une petite histoire d'amour ?
C'est vrai. Elle est tombée amoureuse de moi à force de me soigner, et moi de même. Quand je suis sorti de prison, elle s'était mariée, avait des enfants. Plus de 15 ans s'étaient écoulés, elle n'avait eu aucune nouvelle de moi durant toute cette période. De la prison, je n'avais le droit d'écrire qu'à ma mère, mes frères et sœurs : elle aurait été emprisonnée si elle avait reçu une lettre de moi.

Avez-vous cherché à la revoir à votre sortie de prison ?
Oui, une fois revenu à la vie normale, je me suis marié. Puis je suis allé la voir. Elle tenait un bar avec son mari. On s'est retrouvé là et on s'est serré dans les bras. On pleurait. Son mari était à côté. Tant d'années étaient passées. J'étais heureux pour elle. Dans d'autres circonstances, c'est sûr que je l'aurais épousée. La vie est comme ça. On avait assez souffert pour ne pas souffrir davantage, non ?



Quico, guérillero de la plaine et de la montagne

Francisco Martinez-Lopez, alias Quico, n'a que 10 ans au début de la guerre civile. Il a grandi dans un village de la province du Léon au nord-ouest de l'Espagne, dans une famille où la politique joue un rôle central. D'un père socialiste et d'une mère chrétienne proche du mouvement ouvrier, il découvre l'horreur du franquisme dès le soulèvement de Franco contre la République en 1936.

Comment êtes-vous entré dans la guérilla ?
Jeune, je faisais partie de la guérilla del Llano (guérilla de la plaine par opposition à la guérilla del Monte (des montagnes). Ceux de la plaine mènent une activité clandestine à côté de leur activité quotidienne alors que les autres ont pris le maquis). On s'occupait de préparer des maisons de repli, de distribuer la propagande, d'opérations de sabotage… A 21 ans, j'étais donc très impliqué là dedans quand la police a découvert mon activité. Je me suis alors échappé dans la guérilla del Monte en 1947.

Votre guérilla était de quel bord politique ?
Cette guérilla était plurielle, tous les partis étaient représentés. Je suis entré au moment crucial où la guérilla changeait de structure. Les premiers membres de cette guérilla étaient des fuyards, et des combattants venus du front. Et c'est là que s'est créée la première fédération des guérillas espagnoles, à côté de mon village en 1942, en pleine guerre mondiale. Un bulletin était édité, El Guerillero. Cette première fédération était dirigée par un état-major composé d'un communiste, un socialiste, un anarchiste, et des indépendants sans appartenances politiques. Moi, je collaborais avec tous. Nous nous déplacions dans une zone de plusieurs centaines de kilomètres entre la Galice, les Asturies, Léon et Zamora. Dans ces zones, des villages entiers étaient avec nous. Nous restions complètement cachés le jour, et la nuit, nous menions des actions.

Quel étaient les types d'actions ?
Premièrement les sabotages. De trains notamment. Organiser les gens, occuper l'espace politique, mener des actions par surprise. Il fallait liquider un fasciste par exemple ou venger un guérillero dénoncé par un voisin. Notre zone était une région de mines de charbon, de fer, et de wolfram. C'est ce qu'utilisaient les Allemands pour renforcer leurs tanks. Il fallait saboter ces mines et aussi les trains de viande pour les empêcher de rejoindre l'Allemagne. Notre guérilla était donc impliquée dans cette Deuxième Guerre mondiale car pour nous, le problème n'était pas seulement Franco, mais le fascisme.
Contre la Guardia civil, j'ai participé à trois combats dont le dernier en février 1951. Suite au dernier, mon frère qui avait 17 ans a été emmené deux fois au commissariat et torturé comme mon père et ma mère. C'était une manière de faire pression sur nous.

Vous avez parlé d'une "guérilla plurielle". N'existait-il pas de divisions ?
C'est en 1947 que se sont définies deux stratégies. Les socialistes avaient donné la consigne, d'abandonner le combat en disant que la diplomatie internationale allait résoudre le problème. Qu'ont fait les Alliés ? Ils ont reconnu Franco et lui, il a pu continuer 30 ans de plus au pouvoir. Selon eux, il y avait trop de communistes en Espagne et Franco au pouvoir, cela les arrangeait. Le Parti communiste, lui, a opté pour continuer la lutte avec l'idée que le peuple devait être son propre libérateur. Nous, nous avons suivi ses consignes et nous avons constitué l'Armée guérillero, plus orientée par le Parti communiste.

Quelle a été la position des anarchistes face à ce changement ?
Quelques-uns sont restés et d'autres sont partis en exil. (Quico témoigne ici pour la région du Léon. Ailleurs comme en Catalogne, les anarchistes ont continué la guérilla jusqu'à la fin des années 50).

Vous perceviez clairement cette situation géopolitique en 1947 ou c'est une analyse que vous avez faite a posteriori ?
Non je ne percevais pas cela en 1947. En fait, nous avons échoué dans notre tentative de fragiliser le pouvoir franquiste parce que nous n'avions pas une force suffisante. Le franquisme a intensifié la répression à partir de 1947 et du moment où il avait la garantie d'être reconnu par les ambassades. Du coup, la perspective changeait. Pas seulement à cause de la répression, mais aussi parce que psychologiquement, la population qui nous appuyait voyait que c'était un suicide. Par conséquent, elle n'avait pas la même capacité d'aider la guérilla. Un certain découragement est apparu. La police aussi avait changé ses méthodes : avant ils tuaient un type ou torturaient. Après ils ont commencé à l'acheter et le subordonner. Une personne qui voit qu'il n'y a pas de changement se prête plus facilement au chantage.

A partir de 1949, la situation est-elle devenue insoutenable ?
A partir de 1949, nous commencions à avoir beaucoup de pertes, la direction du Rassemblement est tombée lors d'un combat et après une dénonciation, trois ou quatre autres guérillas sont tombées également. On s'est retrouvé déconnecté de l'extérieur, de la direction du Parti qui était exilée à Paris. On n'avait des nouvelles qu'à travers la presse et la radio. On s'est retrouvé dans une position défensive.

Vous me disiez que vous avez été le "dernier guérillero" ?
Oui, j'ai été avec trois compagnons, la dernière guérilla de Léon. On est passé en France en septembre 1951. Nous avons franchi les barrages de la Guardia civil grâce à de faux papiers militaires, puis c'est un contrebandier qui nous a fait passer la frontière. Mal conseillés par un compagnon déjà expatrié, nous nous sommes retrouvés devant un commissaire de police qui nous a mis derrière les barreaux. Le type connaissait le nom de guerre de chacun d'entre nous. Ils étaient en contact avec la police espagnole. Le commissaire nous a donc laissé le choix entre incorporer la Légion étrangère pour aller en Indochine ou être renvoyés en Espagne. Nous ne voulions ni l'un ni l'autre, mais nous avons choisi la Légion en pensant nous échapper sur le trajet jusqu'à Marseille. Cela n'a pas été possible. Ils nous ont laissés trois mois en prison à Marseille avant que n'intervienne le ministre de l'Intérieur français. Il y avait eu une campagne de soutien à Paris, sinon nous ne serions pas sortis.

En Espagne, vous deviez être sous le coup d'une condamnation à mort ?
Oui bien sûr. On était accusé d'attaques à main armée, rébellion militaire, en plus j'étais déserteur. Au final je suis resté en France jusqu'à la fin. Jusqu'à la transition (la "transition" est la période de l'histoire récente de l'Espagne comprise entre la mort de Franco le 20 novembre 1975, et l'instauration d'institutions démocratiques à partir de 1978).

Avec le recul, avez-vous l'impression que les antifranquistes exilés en France ou ailleurs et surtout les organisations politiques, notamment le PC espagnol auquel vous apparteniez, vous ont oubliés, vous les guérilleros continuant à lutter sur le terrain ?
Trahison. Trahison, je ne pouvais pas le dire à l'époque parce qu'il me paraissait plus important d'attaquer le fascisme. Les forces de gauche se sont moquées de tout cela. Après la transition, elles étaient plus préoccupées par le fait d'obtenir une mairie ou une place au Parlement que par les milliers de morts qui étaient tombés au nom de la liberté. Je me réfère ici à tous les partis politiques, le mien inclus. Mais surtout le Parti socialiste qui a été au pouvoir (de 1982 à 1996). Je me suis adressé à toutes les institutions à l'époque et ils n'ont même pas levé le petit doigt.

Avez-vous l'impression qu'au fond, la guérilla que vous meniez ne cadrait pas avec la stratégie du PC espagnol et les objectifs géopolitiques du Parti communiste soviétique ?
Mais moi, je n'avais pas besoin de consignes, ni de Paris ni de Moscou ni de nulle part pour agir. Je vivais le fascisme au quotidien et je n'avais besoin de personne pour savoir ce que je devais faire. Une chose était de faire des plans depuis l'extérieur sans être impliqué et une autre de subir les conséquences à l'intérieur. Pour moi les vrais communistes étaient ceux qui mouraient et ne demandaient rien en échange.

A lire : Francisco Martinez-Lopez, "El Quico", Guérillero contre Franco, la guérilla antifranquiste du Léon (1936-1951), Editions Syllepse, 2000



Chronologie

Juillet 1936 : Le général Franco se soulève contre le gouvernement républicain légalement constitué. Dans les zones occupées par les nationaux (partisans de Franco), les premiers foyers de guérilla apparaissent, notamment en Galice.
Mai 1939 : Franco déclare la fin de la guerre. Des milliers d'Espagnols s'exilent en France.
Avril 1942 : Création de la première Fédération des guérillas du Léon et de Galice (nord-ouest de la Péninsule ibérique).
1942 : De nombreux Espagnols réfugiés dans le sud de la France intègrent la Résistance française.
25 août 1944 : Des maquisards espagnols participent à la libération de Paris.
Octobre 1944 : Plusieurs colonnes de maquisards espagnols tentent une invasion en Espagne par le Val d'Aran (Pyrénées). L'échec de l'opération met fin au plan "Reconquête de l'Espagne".
1947 : Les socialistes sortent de la guérilla. La répression s'intensifie. Le PCE (Parti communiste espagnol) crée l'Armée guérillero, chargée de fédérer l'ensemble des guérillas. La police française collabore avec la Guardia civil, lui livrant des informations sur les guérilleros réfugiés en France.
1952 : Les principaux foyers de guérillas ont tous été décimés. Le PCE ordonne l'évacuation totale de ses guérillas. Seuls quelques guérilleros, en Catalogne notamment, continueront des actions isolées.
1955 : Quico Sabaté crée les Groupes anarcho-syndicalistes. Dernier guérillero, il meurt abattu cinq ans plus tard.
20 novembre 1975 : Mort de Franco.
Mai 2001 : Le Congrès des députés espagnols décerne aux anciens guérilleros le titre de "combattants de la liberté".