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L'Oeil électrique #23 | Jamais trop tard / Le rock de Chicago des années 90

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Par Arno Guillou.

Chicago fut dans les années 90 un grand centre d'inspiration pour la création rock indépendante. Focalisés autour de la personnalité de Steve Albini, à la fois musicien inventif et ingénieur du son hors pair, ainsi qu'autour d'un label, Touch and go, nombre de groupes ont émergé de cette cité industrielle, ou se sont inspirés de sa mouvance créatrice. Seul un autre groupe, The Jesus Lizard, eut certainement une personnalité et un rôle aussi forts. Albini, The Jesus Lizard : deux entités dont les compositions, l'originalité, et le travail se croiseront, se mêleront, produisant certainement le résultat le plus inventif du rock 90's.

Shellac
At Action Park (Touch and go), 1994

Filtrant au chinois les dernières décennies de rock, chacune laisse à mes yeux un album de rock surpassant tous les autres, à tous les niveaux : création, inventivité, production hors normes, et influence pour les suivants. Pour les années 60, il s'agit certainement du Velvet Underground and Nico (1966). Financé par Warhol, largement reconnu maintenant, l'album à la banane fut pourtant à l'époque un échec commercial cinglant. Son impact fut pourtant essentiel pour la suite de l'aventure rock ; Brian Eno aurait dit, en se prononçant sur ce disque : "Le premier album du Velvet Underground ne s'est peut-être vendu qu'à quelques milliers de copies mais chaque personne qui l'a acheté a formé un groupe." A la fin des années 70, une formation anglaise affiliée au post punk, du nom de Joy Division, sortit quelques vinyles, là aussi impeccables et implacables, posant les bases de la new-wave, du rock industriel, voire même de l'électro via ses descendants New Order. S'il fallait ne garder qu'un disque - choix que j'espère n'avoir jamais à faire en réalité, syndrome de l'île déserte - je citerais ici Substance, pourtant hors discographie puisqu'il s'agit d'une compilation, mais truffée d'inédits et témoignage d'une trop courte carrière. Pour les 80's, mon choix va sans conteste vers Doolittle (1988) de Pixies, disque au succès commercial plus immédiat que les précédents cités, parce que plus facilement abordable, mais ô combien parfait. La discographie exemplaire de ce groupe américain laisse d'ailleurs rêveur par sa perfection, d'autant plus mythique que leur séparation précoce a permis de leur éviter de s'essouffler et de sortir le moindre mauvais disque. Dans un environnement "années 80" marqué par des sonorités truffées d'effets, des productions douteuses, et les fameux synthés, ne les oublions pas, Pixies pratique un retour aux sources du rock, et servira l'inspiration de nombreux musiciens parfois plus radicaux. Avec Sonic Youth et quelques rares autres précurseurs, ils ouvriront la voie du rock indé des années 90. On retrouve dans leur lignée, malgré l'indépendance farouche revendiquée par ces groupes, des succès étonnants tel que celui de Nirvana.
At Action Park, sorti au milieu des années 90, s'inscrit dans cette lignée innovante. Shellac est donc de Chicago, et le groupe est composé de trois musiciens hors normes : Bob Weston, bassiste, Todd Trainer, batteur, et Steve Albini, guitariste et chanteur. Ce dernier a un passé lourdement chargé : il a traversé lui-même les années 80 avec brio, laissant derrière lui deux formations exemplaires, à ma droite Big Black, groupe sans AUCUNE concession, lorgnant du côté du rock industriel, puis à ma gauche Rapeman, où la boîte à rythme est remplacée par un batteur de chair et d'os, où les compositions s'affinent. Albini est aussi producteur, on lui doit entre autres le son de Rid of me de PJ Harvey, Surfer Rosa de Pixies, In Utero de Nirvana pour les plus connus. At Action Park, 10 morceaux absolus, sans concessions, sans fioritures, avec le même grain sonore d'un bout à l'autre du disque, une présence du son jamais égalée (en écoutant cet album, on a l'impression, plutôt que d'en entendre une copie, d'être présent lors de l'enregistrement, entendant la réverbération naturelle du son sur le studio d'enregistrement, comme si aucun effet n'avait été rajouté sur les micros - micros qu'Albini collectionne, et dont les photos ornent l'intérieur de la pochette). L'autoproduction albinienne n'a jamais été si parfaite : batterie extrêmement lourde mais sèche, guitare tranchante au possible, basse plombée, l'ensemble offrant cependant aux oreilles un des disques les plus aériens, les plus beaux mais aussi les plus intenses et viscéraux ayant jamais été créés. Malgré ces épithètes des plus dithyrambiques utilisés pour qualifier ce disque sans doute peu facile d'accès à la première écoute, force est de constater que l'auditeur persévérant ne sort pas indemne de son audition.

The Jesus Lizard
Discographie complète sortie sur Touch & go, de 1989 à 1994
+ Shot (Capitol), 1996
S'il est un groupe qui symbolise à lui seul le rock de Chicago des années 90, il se pourrait bien que ce soit The Jesus Lizard. En plus de dix ans d'existence, de 1987 à leur séparation en Juillet 1999, The Jesus Lizard aura sorti six albums (si on considère que le premier est la compilation Head/Pure, rassemblant en réalité deux EP, respectivement Head et…Pure) dans un style noise rock, à la fois mélodique (guitare) et brutal (basse-batterie). Formé en 1987 par le chanteur David Yow et le bassiste David Wm. Sims, juste après la séparation de leur précédente formation Scratch Acid, ils sont vite rejoints par le guitariste Duane Denison. Sims jouera quelque temps avec Rapeman, dont Steve Albini est le leader, pour ne se consacrer finalement qu'à Jesus Lizard. Mais les chemins de ces deux derniers personnages ne se sépareront pas pour autant : Albini deviendra le producteur de The Jesus Lizard du début jusqu'en 1995, date à laquelle les divergences deviennent trop fortes entre le producteur attitré et le groupe. Albini, au sommet de son talent, intransigeant quant au choix de Jesus Lizard de signer sur Capitol - loin d'être un label indépendant - finit par prendre trop de place dans le groupe, même s'il n'y joue pas. Il semble que The Jesus Lizard en eut aussi assez d'être estampillé Albini.
Quand Pure sort en 1989, The Jesus Lizard utilise une boîte à rythme, qui sera remplacée dès la sortie de Head (1990) par le batteur Mac McNelly. Le groupe gagne ainsi en ampleur ce qu'il perd en rigidité de compositions. S'ensuivent Goat en 1991, Liar en 1992, et Down en 1994, des albums qui, outre la particularité anecdotique d'avoir un titre en quatre lettres - comme du reste ceux qui sortiront plus tard - gagnent de l'un à l'autre en intensité, pour finalement aboutir à Shot en 1996. Ce disque diffère pourtant de ses précédents, par la production d'abord, Steve Albini étant remplacé par GGGarth, dont le travail sur le son est moins sec (il a signé entre autres les enregistrements de certains disques de L7 et Rage Against The Machine, rock accessible à un plus large public, sans que cela ait une signification dénigrante pour son travail) et les compositions changent d'orientation : plus de finesse et de rigueur dans les arrangements, en conservant cependant l'énergie propre à l'essence du groupe. Les concerts donnés à cette période sont toujours aussi puissants et surprenants qu'auparavant, la rigueur des musiciens contrastant avec la folie de David Yow, dont l'anatomie intime est très bien connue de son public, le chanteur exhibant sans réserve son âme et son sexe sur scène. Mais le groupe et le public se lassent, et après un changement de batteur sort Blue en 1998, dernier album peu surprenant de cette formation mythique qui décide alors de se séparer.