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L'Oeil électrique #24 | Métier / Dessinateur de procès

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Par Antoine Bleuzen, Magali Arnal.
Illustrations : David Sourdrille.

Comment es-tu devenu dessinateur de procès ?
Par un concours de circonstance, France 3 Ouest a téléphoné à l'école des Beaux-Arts de Rennes. Ils recherchaient un caricaturiste pour un procès en cours ; une mère avait tué ses deux enfants pour rendre jaloux son mari qui la trompait. On leur a donné mes coordonnées, car dans la masse des étudiants, j'avais cette particularité de faire beaucoup de caricature. J'ai rencontré le directeur dans la journée, avec deux ou trois dessins. Mon dessin lui convenait et dès le lendemain, j'étais parti pour Quimper.

Comment as-tu vécu cette première fois : parachuté à Quimper du jour au lendemain...
Avec beaucoup de stress. Je découvrais à la fois le milieu judiciaire et celui de la télévision. Il m'a fallu intégrer beaucoup de choses en même temps, tout en essayant de réussir un dessin au minimum ressemblant. C'était tout aussi agréable que le passage du bac !

Tu n'avais pas de culture juridique, jamais assisté à un procès ?
Non, comme tout le monde, j'avais vu des dessins de procès à la télévision ou dans des journaux comme Détective. La seule culture particulière que j'avais, c'était les dessins de Daumier (Peintre, lithographe et sculpteur français du dix-neuvième siècle, auteur de nombreuses caricatures sociales et politiques). Depuis, je me suis renseigné sur les différents acteurs du procès, sur leur fonction, les termes employés. Mais mon intérêt reste le dessin.

Combien fais-tu de dessins sur un procès ?
Tout dépend de ma forme. J'en fais peu le matin puisqu'il me faut le temps de me roder, d'émerger... En général, j'en fais une trentaine. J'y vais au crayon de couleur et au crayon à papier, de façon rapide voire brutale. J'essaie d'avoir un dessin assez vif, expressif, je suggère l'architecture des lieux. Je suis assez peu contemplatif, même si ma fonction est de regarder ; j'écoute, j'intègre beaucoup de choses en même temps. Et il est satisfaisant de voir que mis bout à bout, mes dessins forment presque un dessin animé, le soir à la télévision.

Une influence de la bd ?
Oui, je pense : plus ça va et plus j'ai une recette. Je mets en scène les acteurs du procès de manière chronologique, ça prend rapidement figure d'un story-board.

Tu travailles exclusivement pour France 3 ?
Oui, ce sont eux qui m'appellent, souvent pour la journée même, lorsque l'affaire a un caractère exceptionnel, que le procès bénéficie d'une couverture médiatique importante. Il s'agit souvent de crimes de sang, d'affaires de corruption ayant conduit à des accidents mortels. Heureusement pour le monde, il n'y a pas de crimes sanglants tous les jours et mes occasions de travailler sont assez exceptionnelles.

Comment s'organise votre collaboration ? Ont-ils des demandes précises ?
Les journalistes considèrent que je suis le mieux placé pour savoir qui je dois dessiner et à quel moment. Il leur faut les acteurs principaux du procès, le président du jury, ses deux assesseurs, le procureur, l'accusé, les avocats (partie civile et défense), les témoins et les experts, mais d'abord et surtout l'accusé.
D'un point de vue pratique, les journalistes ont besoin des dessins pour le journal régional du soir ; ils doivent les filmer et caler leur texte. Je les rends vers 17 heures, bien avant la fin du procès, qui peut durer jusqu'à 22 heures.
Pour l'audience même, je rentre en même temps que les journalistes ; je cherche une place où m'asseoir, de préférence pas trop loin, un peu de trois-quarts. Je dois éviter d'être confronté aux dos des gens, ce qui arrive souvent... Il faut négocier avec les policiers et l'huissier général qui veille au bon déroulement du procès. Si vraiment il n'est pas compréhensif, je suis obligé de chiner une place auprès du président. Maintenant que l'on connaît ma tête, c'est plus facile, les policiers me laissent passer avec un regard complice, l'huissier me prépare une chaise. Peut-être espèrent-ils un dessin ? (rires)

Justement, quels sont tes rapports avec les différents acteurs du procès ?
J'échange plus facilement avec les personnages neutres : les policiers, l'huissier, les journalistes. Lors des pauses, j'en profite pour discuter avec les avocats. Parfois, à la sortie du procès, certaines personnes me demandent si je les ai faites ressemblantes, sans trop les marquer ou mettre leur double menton en avant. Elles sont inquiètes de savoir si je les ai enlaidies.

Est-ce que discuter avec les acteurs du procès influence ta manière de les croquer ?
Certains personnages étant récurrents, je tiens compte de leur personnalité et mon dessin est plus expressif. Le début d'un procès constitue une période d'échauffement, les premiers dessins sont rarement les meilleurs. Quand j'ai débuté, mon dessin était plus rudimentaire, je faisais en sorte d'obtenir une ressemblance fonctionnelle, un peu mécanique.

As-tu l'impression que certains intervenants posent ?
Ils sont un peu gênés par mon regard insistant, mais s'habituent à ma présence assez rapidement. Les plus gênés sont les jurés qui me regardent en coin ; ils sont là de manière anonyme et ne savent pas pour qui je travaille, ne peuvent pas me situer puisque je n'ai pas le droit de leur parler.
J'échange souvent des regards avec l'accusé, parfois complices mais rarement hostiles. Joseph Allain (meurtrier de cinq personnes dont deux gendarmes en 1997) en était assez friand, et des braqueurs du Mans semblaient aussi assez contents d'être dessinés, mais le dernier accusé était complètement prostré... En revanche, je ne communique pas oralement avec eux.
Je discute parfois avec les familles, les témoins, les experts, mais rarement avec les victimes directes.

Dans le public des procès, retrouves-tu des habitués ?
Très souvent ! Au début, je croyais que c'était des experts qu'on ne faisait pas intervenir. Ce sont en fait des retraités, des anciens avocats...

Tu as des contacts avec eux ?
Non pas tellement, je suis dans la bulle des journalistes et je me sens parfois perçu comme une bête curieuse. Les avocats, c'est leur métier, les spectateurs sont spectateurs et moi je suis l'invité. Ni celui qui est imposé, ni qui s'impose, un peu le spectateur professionnel.

As-tu des réactions de la part de ceux que tu dessines suite aux diffusions télévisées ?
Des retours de diffusion ? Non jamais. En général, les acteurs principaux de par leur fonction assistent à la totalité du procès et n'ont pas le temps de regarder la télévision. Ils ont des retours très indirects et ils ne m'en parlent pas. Vis à vis de moi, il y a un intérêt mêlé de crainte, de timidité, et même s'ils sont intrigués, ils osent rarement m'aborder d'une manière directe. Les plus téméraires sont les policiers.

Connais-tu d'autres dessinateurs de procès ?
Assez peu en fait. On se rencontre lors des procès et là, c'est un peu chacun pour soi. Nous sommes concentrés sur notre travail et un peu concurrents quand même. Il n'y a pas vraiment d'école, mais chacun a son style bien marqué. J'en tiens compte pour m'en éloigner, pour me démarquer et avoir un dessin plus reconnaissable. J'ai bien essayé de demander des recettes, des astuces, quelle gomme ils utilisaient par exemple, et j'ai rapidement constaté que l'autre n'avait qu'une envie, c'était de faire son travail. Je me suis trouvé à bosser à côté d'un octogénaire, qui cachait ce qu'il dessinait !

Tu arrives à suivre les procès ?
Je suis rarement appelé le premier jour puisque les acteurs principaux ne sont pas encore intervenus. Je commence par m'informer un minimum sur ce qui s'est passé auprès du journaliste, pour m'imprégner de l'ambiance, savoir quelle est la personnalité de l'accusé, qui est la victime. C'est assez passionnant, et le procès se déroulant assez lentement, j'ai largement le temps de suivre, c'est du direct ! Rien à voir avec la vision qu'en donnent les séries ou les films.
Mes dessins livrés, j'essaie de rester une heure ou deux. Il peut très bien ne rien se passer, mais il arrive que j'assiste à des événements spectaculaires en fin de soirée parce que tout le monde est fatigué, comme des crises de larmes ou un accusé qui se met à insulter tout le monde, et je reste aussi pour ça ! (sourire) Mais souvent après avoir fait 10 à 15 dessins, j'ai envie de prendre l'air.

Ton statut de témoin privilégié du fonctionnement de la machine judiciaire a-t-il contribué à faire évoluer ton regard sur la justice?
Le plus troublant est de voir à quel point une peine de prison peut être rudimentaire face à un crime commis dans un moment de démence ; ça relativise la notion de justice. Quand une mère a tué ses deux enfants, une peine de prison ne semble pas inutile... mais approximative, émoussée... Les peines ne semblent pas personnalisées, entre la prison et la prison, peu de choix.

Es-tu parfois frustré de ne pas intervenir dans les débats ?
Non, je suis totalement spectateur. J'ai un avis comme tout le monde, mais je ne vois pas en quoi il serait intéressant. J'ai été confronté à des cas qui m'ont fait réagir. Comme ce procès de braqueurs, dont certains ont pris perpétuité alors qu'au même moment, certains corrompus se promènent en toute impunité. La justice rendue n'est pas toujours juste de mon point de vue, mais jamais je n'aurais l'idée de m'exprimer sur le sujet dans les lieux où elle est rendue.

Est-ce que cette activité t'a permis de sortir d'une vision abstraite de la justice en te confrontant au drame humain ?
Oui. Avant, comme tout le monde, j'avais une vision un peu idéaliste. Confronté à la réalité, on se rend compte que les procès sont menés par des gens comme vous et moi, faits de chair et de sang, influençables. On a beau porter la robe noire avec de l'hermine sur la manche, quand on est confronté à quelqu'un qui a tué tout le voisinage avec un fusil de chasse, on est démuni. Le président parle tout seul, il pose des questions, l'accusé est prostré dans son silence, on sent que la justice n'est pas... infaillible n'est pas le mot...

Elle n'a pas de réponse ?
Pas de réponse appropriée. Les victimes vivantes ou leur famille sont satisfaites, mais rarement comblées par l'issue du procès. La justice a été rendue, mais une frustration subsiste, la peine appliquée ne semble jamais convenir. Le système est ce qu'il est, et face à des cas complexes, les structures sont rigides et les peines rarement appropriées. Le jury est composé de non-professionnels, ils n'ont pas l'air infaillibles, ils peuvent avoir des préjugés. Mais il n'y a pas vraiment de surprise quant au verdict, les retournements de situations sont rares. La famille attend surtout la manière dont va s'expliquer et se justifier l'accusé, ainsi qu'une reconnaissance du mal qui leur a été fait. J'ai parfois l'impression que le procès sert à combler un manque. Mais je ne suis pas sûr qu'il y contribue tout à fait, parce que l'accusé est souvent silencieux.

Est-ce que tu te sens voyeur ?
Oui, évidemment. Mais on passe vite au-delà de cette impression...Quand il y a des débordements émotionnels, des effusions de larmes, je suis gêné. Dans les moments de forte émotion, je ne me sens pas à ma place. Mais je m'arrange assez bien avec ce voyeurisme qui n'est pas à sens unique. Quelque part il y a... pas de l'exhibitionnisme... mais les témoins appelés à la barre se mettent en scène ; ils sont sincères, mais ils accommodent leurs émotions, qui arrivent à point nommé pour avoir du poids auprès de l'assemblée, des jurés, du président du jury, de tous les gens qui sont venus là pour regarder. Il y a une mise en scène de l'émotion destinée à influencer le jury.

Ne penses-tu pas que cela puisse venir d'une préparation avec leur avocat ?
On ne sait pas trop, il y a un mélange. Si les témoins ou les accusés pleurent sincèrement, ils s'expriment de manière très soutenue, presque littéraire, les larmes viennent toutes seules, mais les mots sont choisis, et parfois les acteurs sont mauvais...

Penses-tu que tes images ont un contenu informatif ?
D'une manière pragmatique, on utilise mes dessins parce qu'il est interdit de filmer.
Mais un dessin c'est interprété, la valeur informative est suggestive.
Et un dessin, un visage, qu'est-ce que c'est par rapport à un fait ? Une expression ? Un caractère humain ?
Je ne suis pas un journaliste mais un témoin particulier qui essaie de restituer ce qu'il a vu, en étant le plus honnête, le plus sensible possible... Je me considère comme un quidam, qui sait dessiner des gens et qui permet au spectateur d'assister au procès avec lui.

Mais s'il n'y avait pas tes dessins, l'idée que l'on aurait du lieu serait complètement abstraite ?
Ils plantent un décor, permettent au spectateur d'imaginer comment le procès a eu lieu, quelle était l'ambiance. Imaginer les moulures du plafond s'il le veut.
Mais c'est aussi une tradition, un label pour un procès en bonne et due forme.
Dans le regard du spectateur, la photo a une toute autre valeur...
Les dessins permettent au journaliste de fixer son texte dans la mémoire des gens, éviter qu'il rentre par une oreille et sorte par une autre... Ils sont une béquille pour le texte.

David Sourdrille est également auteur de bande dessinée. Il est publié dans les journaux Psikopat et Ferraille.