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L'Oeil électrique #29 | Cinéma / Zulawski - La métaphysique du chaos

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Par Erwan Bargain.
Illustrations : Philippe Hollevout.

Né en 1940, à Lwov, en Pologne et fils de l'écrivain Miroslaw Zulawski, Andrzej Zulawski s'est imposé, en une douzaine de films, dont quelques chefs d'œuvres, comme un auteur singulier et exigeant, en marge de la production mondiale. Ancien élève de l'IDHEC, il effectue ses débuts cinématographiques dès 1960 auprès d'Andrzej Wajda, pour lequel il assume la fonction d'assistant réalisateur sur les films Samson et L'Amour à vingt ans (le sketch Varsovie). Quelques années plus tard, il publie son premier roman, Kino, interdit dans son pays d'origine, avant de travailler pour la télévision. En 1971, il co-écrit, avec son père, La Troisième Partie de la Nuit, un premier film viscéral et violent, à l'esthétique quasi expressionniste, qui est primé au festival de Venise. Viennent ensuite Le Diable, une fable philosophique et onirique sur la condition humaine, L'Important c'est d'aimer, avec Romy Schneider et l'inachevé Globe d'Argent, un film de science fiction dont le tournage est stoppé par les autorités polonaises. En 1979, il se réfugie à Berlin pour mettre en scène Possession qui offre à Isabelle Adjani le prix d'interprétation féminine au festival de Cannes. En quelques films, il révèle un univers cérébral, cruel et chaotique où les sentiments s'entrechoquent pour mieux mettre à nu la matière humaine. Installé depuis le début des années 80 en France, il poursuit parallèlement au cinéma sa carrière d'écrivain et d'essayiste, accouchant d'œuvres souvent surprenantes et déroutantes. En témoignent ses deux derniers films, Chamanka, ode à la passion destructrice et La Fidélité, variation autour de La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette.

A la vision de vos films, on sent qu'une large place est accordée à l'écriture. Pourriez-vous nous expliquer ce que représente l'écrit dans votre travail cinématographique ?
Il n'y a pratiquement aucun moyen dans le cinéma d'aujourd'hui et d'hier, de convaincre qui que ce soit sur le bien fondé de votre propos, si vous n'avez pas un scénario écrit. Le paradoxe veut qu'il y ait très peu de producteurs qui sachent lire. Ce qui ne veut pas dire qu'ils soient illettrés mais ils prennent le scénario comme un document rassurant. Ce qui les rassure encore plus c'est quand un script n'est pas original mais tiré d'un bouquin à succès. Le scénario est donc une étape obligatoire. J'ai tendance à penser qu'un scénario, écrit d'une façon si bonne, qu'au fond il se lit comme une œuvre d'art ou un document littéraire intéressant, n'est pas le meilleur matériau pour faire un film. Ces scénarii là, j'en ai lu dans ma vie et ils sont toujours mieux sur une étagère, dans votre appartement, que portés à l'écran. Le scénario est une bête curieuse : c'est un plan de navire très schématique qui laisse sa place à l'air du temps, aux acteurs, au développement des choses qui se passent pendant le tournage, à l'imagination même du metteur en scène, qui n'est pas obligé de la consigner sur le papier. Et je n'oublierai jamais qu'une des choses les plus pertinentes qu'ait dit Ingmar Bergman est que le meilleur scénario est comme une pièce de théâtre : il n'y a que le dialogue, aucune indication. Où ça se passe, comment ça se passe, c'est, ensuite, au metteur en scène de voir.

Justement, quelle est l'influence de la personnalité des comédiens, dans l'écriture et la réalisation d'un film ?
On écrit en pensant très fermement à des caractères, à des personnages. On n'écrit pas pour rien et tout cela doit théoriquement dire quelque chose de cohérent, qui se tienne. On essaye donc, par la suite de "caster" des acteurs dont le profil, les intérêts personnels, la psychologie sont au plus près de ce qui peut être en commun avec le personnage de papier. Evidemment, cette ressemblance ne l'est jamais à 100 %, à moins de faire du dessin animé. Il faut alors comprendre que le vif du processus est - une fois établie la famille des comédiens jouant dans le film - que ces comédiens ne doivent pas être dans leurs rôles comme dans des corsets. Ils doivent apporter leurs expériences, leurs vies, leurs désirs, leurs intuitions et parfois leurs émotions toutes brutes. Et le rôle d'un metteur en scène est de ne jamais oublier, sur un plateau, en vue de quoi tout le monde est réuni. Le but est d'essayer d'observer ce bébé qui naît et tenter de comprendre ce qui l'enrichit, ce qui peut le détourner, le dévier… Ce dialogue doit s'instaurer avant tout, entre les comédiens et le réalisateur, avant, pendant et après le tournage. Le scénario est en perpétuel devenir.

Le conflit et la violence sont des thèmes récurrents de votre œuvre. Cet état conflictuel est-il un élément moteur dans votre processus créatif et vous est-il indispensable ?
Les conflits et les violences de mes films sont des reflets très pâles des conflits et violences qui se passent dans le monde. Je suis sensible à la violence et à la méchanceté des choses. Le privilège de pouvoir le montrer à l'écran est une façon de vider le sac de ces choses. Certaines études accusent le cinéma de provoquer la violence chez les jeunes. Je répondrai autrement. N'importe quoi provoque en effet la violence chez les gens, et pas nécessairement le cinéma. Il vaut mieux selon moi voir la violence à l'écran que de la voir en sortant de la salle.

Le fantastique, le surnaturel, l'univers des phantasmes imprègnent la plupart de vos films, à croire que l'imaginaire est, d'une certaine façon, indissociable de la réalité
Ce n'est pas pour rien que nous écrivons des contes pour enfants, ce n'est pas pour rien qu'il y a Walt Disney, ni pour rien qu'il y a la science fiction. Cette faculté de notre cerveau d'inventer ce qui n'existe pas devant nous, est magique et il ne faut pas s'en priver. Certains sujets ne s'expliquent que si on leur donne une dimension fantasque dans laquelle la morale de ce que vous essayez de dire se dessine sans faire de prêche, sans bavardage, mais, au contraire, de manière imagée. Dans Possession, par exemple, la dimension surnaturelle était indispensable car elle permettait d'illustrer quelque chose de plus vaste. Le surnaturel est donc parfois nécessaire

L'Important, c'est d'aimer, Chamanka, La Femme publique… Le rapport au corps occupe également une place très importante dans votre œuvre…
Vous savez, je crois que nous sommes bâtis sur ces deux pôles, esprit et corps, et que l'un sans l'autre et l'autre sans l'un n'ont aucun sens ni existence. On essaye depuis l'aube des temps de diviser l'Homme en deux, en nous disant que l'esprit est pur et que le corps est sale. Je pense que l'un est le fondement de l'autre et l'autre le fondement de l'un. Prenons par exemple les recherches sur l'infiniment petit, dans la matière, qui sont arrivées à un point de stupéfaction. Le plus petit élément que l'on ait découvert jusque là n'a aucune caractéristique de ce que l'on appelle de la matière. Il n'a pas de poids, il n'a pas de mouvement, il n'a pas d'existence tant qu'on ne le regarde pas. C'est en quelque sorte un esprit pur. Et cela nous montre bien le champ encore très incompréhensible de la liaison entre le corps et l'âme.

Les personnages principaux de vos films et romans, donnent l'impression de n'exister que dans l'excès et le chaos. En quoi ce conflit interne entre la raison et le sensible, peut-il servir de moteur à l'existence ?
J'ai vu la guerre, le communisme, tant de morts et de violence autour de moi que je pensais qu'il fallait crier et que chacun de mes films serait le dernier. La concentration nécessaire à un film exige cette espèce de tension violente, d'exacerbation. Je faisais mes films dans cet état d'esprit. Mais lentement je m'aperçois que le temps passe et que je ne suis pas encore mort, que les choses que je faisais au début et qui paraissaient extrêmement brutales entrent dans un petit panthéon de l'histoire du cinéma et je trouve cela très surprenant. Je m'aperçois aujourd'hui que j'ai peut-être plus de temps, et que nous avons peut-être tous plus de temps, que je ne pensais. Et c'est ce qui m'a poussé à faire mon dernier film, La Fidélité, en levant le pied et en me demandant si, en prenant un peu plus de temps, je pouvais obtenir la même intensité de sentiment, la même violence interne des choses sans l'étaler comme un cri de cirque. Je suis très heureux que ça se passe comme ça. Ce qui ne veut pas dire que demain je ne vais pas entrer dans une rage folle contre quelque chose. Je m'aperçois que je cours, en quelque sorte, un 3000 mètres avec obstacles, et qu'entre ces obstacles, j'ai des moments de répit…

En tant que cinéaste, vous semblez fasciné par les femmes, qui occupent une place considérable dans votre œuvre, comme si vous vous effaciez derrière elles…
Elles ont également une grande importance dans ma vie, croyez-moi…Je pense que je n'ai aucune envie de faire des films narcissiques et de contempler mon nombril. Je crois que toute la beauté du cinéma est de faire des films sur des choses que l'on ne sait pas, que l'on redoute et que l'on aime, par exemple des choses vis à vis desquelles on a un rapport très fort que l'on essaye de faire éclore à l'écran. C'est une relation très vivante. Je connais des tas de metteurs en scène et de scénaristes qui sont le contraire de leurs films, par exemple extrêmement moraux dans leurs œuvres et immoraux dans la vie. Personnellement, je ne voudrais pas que l'on puisse me dissocier de ce que je fais, me dissocier de mon œuvre. Je suis moi, je dis ce que je pense et je pense ce que je fais, avec les risques que cela comprend, car Dieu sait si je peux me tromper.

Vous avez tourné un film de science-fiction en Pologne, Le Globe d'argent, qui pour des raisons politiques, est resté inachevé. Que représente pour vous ce genre ?
J'aime beaucoup la science-fiction, car l'intelligence aujourd'hui dans le cinéma est très sensiblement dans la technique. C'est une étape et cela ne veut pas dire que ça va durer. Mais les metteurs en scène qui actuellement sont sur la crête du cinéma sont ceux qui sont les plus aptes à assimiler les techniques nouvelles voire même à les créer.

Pensez-vous, un jour, revenir au genre et au fantastique en général ?
Il faudrait pour cela que les producteurs français soient moins paresseux. Déjà, ils n'arrivent dans leurs bureaux qu'à midi alors qu'à Los Angeles, dès 8 heures ils sont au travail. De plus, quand vous apportez un scénario un peu plus compliqué à un producteur français, il tente de vous convaincre de vous attacher à un projet plus simple. Or l'histoire du cinéma, c'est l'histoire de la mine de charbon. Il faut aller au charbon et piocher, ne pas avoir peur. Et si l'idée de la pioche déjà vous fatigue et que vous préférez, comme c'est le cas du cinéma français, passer votre temps entre deux réunions mondaines, alors tous les films finissent par se ressembler.



Filmographie

La Troisième Partie de la nuit, 1971
Un homme tombe nez à nez avec son double, qui est abattu sous ses yeux… Dans une atmosphère expressionniste, Zulawski signe une œuvre déroutante et violente, aux résonances métaphysiques et mystiques.

Le Diable, 1972
En Pologne, en 1793, lors de l'invasion prussienne, un homme sème la mort partout où il passe. Lorsqu'il est abattu, on découvre à la place de son cadavre, celui d'un loup. Un film étrange et vénéneux, interdit en Pologne en raison de la violence et de la cruauté de certaines scènes.

L'Important, c'est d'aimer, 1974
Mariée à un homme sans personnalité, une femme s'éprend d'un reporter-photographe embarqué par amour dans une sordide histoire où plane l'ombre de la mort. Personnages pathétiques, situations scabreuses, L'Important c'est d'aimer est une œuvre dense, pessimiste et bouleversante.

Le Globe d'argent, 1977
Film de science-fiction resté inachevé, le tournage étant stoppé par les autorités polonaises. Le régime communiste, après s'être acharné sur Le Diable et quelques écrits de l'auteur, continue son travail de sape et interdit à l'artiste de poursuivre son œuvre.

Possession, 1980
Au retour d'un long voyage, Marc trouve sa femme Anna agressive et perturbée. Il enquête et découvre avec horreur qu'elle entretient une étrange relation avec un monstre hideux. Mêlant horreur, mélodrame, fantastique et métaphysique, Possession retrace la descente en enfer d'une femme dont l'émancipation passe par la destruction et la mort.

La Femme publique, 1984
Une jeune comédienne, engagée par un cinéaste tyrannique pour interpréter Les Possédés de Dostoïevski, est entraînée dans une étrange histoire qui lui permettra de vivre son art en profondeur et de découvrir, au fil des épreuves, sa véritable nature. Un film déstabilisant et tourmenté, à la mise en scène virtuose.

L'Amour braque, 1985
Avec ses couleurs agressives et sa caméra frénétique, L'Amour braque n'est probablement pas le meilleur film de Zulawski mais demeure très représentatif de sa démarche créatrice.

Mes nuits sont plus belles que vos jours, 1988
L'un des films les moins intéressants de Zulawski, qui se contente de ressasser sans génie les obsessions qui ont fait sa réputation.

Boris Godounov, 1989
Tentative de renouveler les films d'opéra par la mise en abîme du travail de création artistique, ce film est malheureusement raté, en raison notamment d'une construction narrative souvent hasardeuse et de longueurs inutiles.

La Note bleue, 1990
Les derniers jours de Frédéric Chopin et de sa liaison avec George Sand. Excessif et sans âme, La Note bleue tourne rapidement en rond et finit par lasser. Il illustre la passage à vide que connaît alors l'auteur depuis quelques années.

Chamanka, 1997
Mangeuse d'homme, une jeune étudiante s'éprend d'un professeur d'anthropologie. Chamanka est l'un des films les plus méconnus du cinéaste, une œuvre une nouvelle fois violente, onirique et intrigante, qui marque le retour en forme de Zulawski.

La Fidélité, 1999
Les amours tumultueuses d'une jeune photographe mariée à un éditeur aimant, qui entretient une passion secrète pour un autre homme mais restera, malgré tout, fidèle à son mari. Une adaptation intéressante de La Princesse de Clèves en dépit de nombreuses longueurs inutiles.