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L'Oeil électrique #3 | Société / S’informer sur l’information

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Par Stéphane Corcoral.

Il est très réjouissant de voir que ces derniers temps, de multiples occasions nous ont été données de prendre du recul sur la manière dont " les médias " en général traitent " l’information ". Ainsi, tous les dimanches, les journalistes d’Arrêt sur images, sur la cinquième, prennent un malin plaisir (parfois un peu tatillon) à épingler toutes les manipulations de l’image ; il y a bien sûr aussi tout le travail de Delépine, de Moustic et des Guignols, mais surtout, au début de l’année, c’est le livre de Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, qui s’est taillé un beau succès en librairie, et que je vous invite à lire sans hésitation, si ce n’est déjà fait. Ce livre, où sont, entre autres choses, vertement mis en cause certains de nos journalistes les plus médiatiques (Serge July, Christine Ockrent, Anne Sinclair, PPDA, Alain Duhamel…), touche exactement au but – car il provoque la réflexion chez le lecteur : il juxtapose des citations qui s’éclairent mutuellement, il met des attitudes et des actes en perspective, il nous pousse à l’analyse de telle ou telle situation. Mais il est aussi très déprimant, car on y voit que les informations sont souvent sélectionnées selon des critères qui n’ont pas grand chose à voir avec l’importance desdites informations pour l’humanité.

C’est sans doute un peu grâce au travail de toutes ces personnes (mais aussi du Monde Diplomatique, de Charlie Hebdo, du Canard Enchaîné,…) que l’on a pu suffisamment parler de l’AMI (accord multilatéral sur l’investissement, la suite du GATT) pour que le gouvernement se décide à déclarer qu’il ne signerait pas cet accord (qui aurait transféré nombre de souverainetés des états nationaux vers les investisseurs, et donc les grosses multinationales). Car l’AMI est bien un des meilleurs exemples récents du passage sous silence d’un événement d’importance capitale par la plupart des médias. Ce sont d’ailleurs notamment les journaux télévisés qui ont fait l’impasse sur l’AMI et son rejeton qui pue, le NTM (New Transatlantic Marketplace). L’AMI est un excellent exemple, mais il y a aussi les tortures et les exécutions au Tchad, au Nigeria et au Sénégal… vous en avez entendu parler vous ? Sans doute pas, mais si vous regardez les informations à la télé, vous vous êtes certainement habitué à voir défiler 25 minutes de faits divers avant que les nouvelles qu’on pourrait penser plus importantes (dans le sens où elles affectent plus de monde) soient expédiées en quelques phrases. Ou bien vous avez vu des reportages sur les éleveurs de brebis dans le Vaucluse et les maîtres pipiers du Jura. Si vous discutez un peu avec un journaliste de la télévision, il vous dira qu’on lui a appris que ce qui intéresse les gens c’est eux-mêmes et donc ce qui est proche d’eux, dans le temps et dans l’espace. Plus on s’éloigne, moins il y a d’audience : c’est le règne de la proximité. Il y a deux analyses possibles d’une telle situation : c’est véritablement ce que veut " le public ", alors on le lui donne, ou bien il s’agit d’une véritable entreprise de ramollissement des esprits. Halimi évoque ainsi le " fait divers qui fait diversion " de Bourdieu en expliquant qu’il est " idéologie puisqu’il attire l’attention sur l’anodin ". On pourrait rétorquer que si TF1 passe 20 minutes de faits divers avant de vaguement survoler quelques informations lors de ses journaux de 13 et 20 heures, ce n’est que l’offre qui répond à une demande. Il s’agit après tout d’une société commerciale qui cherche à faire de l’audimat pour augmenter son chiffre d’affaires (ce qui est une triste vision de l’information, mais qui ne correspond pas à une manipulation). Halimi propose quant à lui un exemple intéressant face à cet argument : " Lorsqu’on a annoncé un accident de la circulation sous le Pont de l’Alma à Paris en août 97, ça m’a intéressé quelques secondes. Et pourtant, il n’y a pas la moindre raison que la mort de Lady Diana suscite un quelconque intérêt chez moi. Pourquoi ai-je été intéressé ? Parce que ça fait des années que comme nous tous, j’avais vécu avec Lady Diana, ses amours, ses divorces, ses boulimies, ses régimes… C’est comme si quelqu’un que j’avais souvent vu disparaissait. Cela veut dire qu’on m’a intéressé à ça. Les gens sont friands de ce qu’on leur donne parce qu’on dit que les gens sont friands de ce qu’on leur donne. C’est l’alibi permanent des journalistes qui s’intéressent à certaines nouvelles et qui disent : ‘‘on s’y intéresse parce que les gens s’y intéressent.’’ On avait aussi les débats au sein du RPR entre Sarkosi, machin… Je ne suis pas certain que ça intéresse grand monde, mais les journalistes politiques se passionnent pour ça et disent que les gens veulent vraiment en savoir davantage là-dessus. C’est un peu l’alibi permanent des sondages qui ne mesurent que ce qu’on a envie de mesurer. J’ajoute que lorsque on a pendu ce poète il y a quelques mois au Nigeria, si pendant des années on avait parlé du Nigeria comme on devait le faire (il s’agit après tout du pays africain le plus peuplé), on y aurait peut-être consacré des émissions spéciales, au même titre qu’à la mort de Lady Diana. Si on avait inversé les priorités, on aurait plus parlé de la mort d’un poète, parce que les sociétés pétrolières voulaient s’en débarrasser. Mais comment voulez-vous que les gens s’intéressent à l’actualité internationale alors qu’on ne fait jamais de reportages sur l’actualité internationale. On ne découvre les pays que lorsqu’ils sont en crise. On ne les découvre que lorsqu’il y a des coups d’états, des inondations ou des tremblements de terre. Comment voulez-vous qu’on ait la moindre sympathie pour les peuples de ces pays qu’on ne voit jamais. L’intérêt, ça se construit aussi. " Je rétorquerai pour ma part que nous savons en fait plein de choses qu’on préfère ne pas se voir rappeler trop souvent. Tout le monde sait qu’on vend des armes aux pays du Tiers Monde, mais on préfère peut-être ne pas trop en entendre parler, parce que ça fait marcher l’économie. On parle aujourd’hui largement plus de la " responsabilité "

des Allemands qui vivaient d’un système où des millions de personnes étaient exterminées, que de notre responsabilité à nous qui vivons d’un système où un million et demi de bébés meurent chaque année (multipliez donc par cinq, dix, quinze ans) par la faute et pour le profit de multinationales agro-alimentaires dans lesquelles nous avons peut-être des actions, des SICAV, ou qui font partie du portefeuille d’investissements de notre plan d’assurance-vie. Il y a des moments où nous ne préférons pas trop être informés, tout simplement parce que ça nous remet en question.

Le cas de l’éthiopie en 1984 est un autre exemple édifiant. On a bouffé (pas de mauvais jeu de mots ici) de l’éthiopie pendant des mois, mais avant ça, les principaux médias avaient ignoré cet événement pendant tout un été, au moment où le plus aurait pu être fait, pensant qu’on " avait déjà vu tout ça ". Qui en a quoi que ce soit à foutre du fait qu’on aurait pu éviter bien des morts si les médias avaient réagi. À l’autre bout de l’échelle, nous avons eu (et nombre d’entre nous ont encore) une image de l’éthiopie comme d’un désert aride où les enfants meurent de faim en permanence. Qui sait que l’éthiopie est aussi un pays très vert et montagneux ? Il y a un énorme déséquilibre, car, nous ne recevons pratiquement jamais d’informations positives sur le développement. Au Bangladesh, entre l’amélioration de l’éducation des femmes et un ouragan, pour un rédacteur en chef, il n’y a pas de match. Pourtant, il est avéré que les chances de survie d’un enfant sont directement proportionnelles au niveau d’éducation de sa mère. Le nombre de vies sauvées par l’éducation des femmes dépasse sans doute largement celui des vies perdues dans un ouragan. Mais les effets de la politique du FMI au Pérou ne mettent peut-être pas les téléspectateurs dans l’humeur requise pour bien avoir envie de consommer tous les beaux produits qui leurs seront présentés juste après le journal.

Aujourd’hui, et c’est paradoxal, se pose donc la question de l’accessibilité des médias qui enquêtent, informent et questionnent véritablement sur les grandes orientations de nos sociétés, ou sur ce qui se passe sur notre planète. Car l’information est contrôlée par un nombre de plus en plus restreint de sociétés, qui sont par contre de plus en plus énormes. En France, les médias appartiennent aujourd’hui à la Générale des eaux, à la Lyonnaise des eaux, à Bouygues et bien sûr à Hachette. Une seule agence de presse, l’agence Reuters, fournit des informations sur le Tiers Monde à la plupart des grands journaux occidentaux, qui n’ont pratiquement plus de correspondants à l’étranger, en particulier dans le Tiers Monde. Pendant 20 ans, le génocide des Tibétains a été ignoré. On en parle depuis deux ou trois ans parce que Richard Gere (qui est lui-même bouddhiste) a appelé à ce qu’on se préoccupe de leur sort. Tant mieux et bravo à lui, mais sommes-nous condamnés à n’entendre parler des événements de ce monde que lorsqu’une célébrité se sent concernée ? Les correspondants qui nous informent sur ce qui se passe loin de chez nous doivent-ils avoir déjà été dans les pages de Gala pour avoir du crédit ?

Aussi, pour conclure ces quelques lignes sur les filtres médiatiques, et pour finir sur une note un peu plus constructive, je voudrais évoquer le film de Pierre Carles. Ce film (" Pas vu, pas pris ") devrait, si tout se passe bien, sortir en salles au mois de mai. C’est un film qui a été tourné pour la télévision, qui traite des connivences entre journalistes et hommes politiques, et qui a été censuré par Canal + et par Karl Zéro (qui était censé le diffuser), dont l’impertinence a ici montré ses limites.

Comment expliquer la décision de Karl Zéro, champion de la provocation, de qui on n’attendait pas un tel blocage ? Peut-être qu’aujourd’hui Canal + est devenue une gigantesque holding ayant des accords avec de nombreux conglomérats industriels, qui eux, apprécient beaucoup moins cette impertinence. Peut-être aussi que pour l’occasion, ce qu’on voit dans ce film est trop compromettant pour certains. Alors, gardez les yeux ouverts et allez voir ce film s’il passe pas loin de chez vous : vous aurez apporté votre contribution contre la censure… qui n’est pas toujours où on l’attend.

Un petit tour en librairie pour s’informer sur l’information :

Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Liber-Raisons d’agir, 1997. Pas cher et un bon départ sur le sujet, dans la mesure où il provoque la réflexion et l’analyse

Noam Chomsky, Les médias et les illusions nécessaires. Chomsky est véritablement un des grands penseurs de ce siècle, et ce livre démontre avec une efficacité implacable comment le système libéral est porteur de la manipulation de l’information, et comment, justement, les illusions sont nécessaires.

Pierre Péan et Cristophe Nick, TF1 : un pouvoir, Fayard, 1997. Bien sûr, très intéressant pour TF1, mais avant tout, Péan et Nick décortiquent avec brio les réseaux de pouvoir et d’influence qui sous-tendent tous les grands médias.

Michel Collomb, Attention Médias ! Les médias-mensonges du Golfe, EPO, 1992. Un livre remarquable sur l’attitude des grands médias face à cette situation particulière.