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L'Oeil électrique #3 | Musique / Psychanalyse et paroles

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L’analyse des paroles de chansons permet-elle de mettre à jour certaines tendances, ou de révéler certaines préoccupations. C’est la question que nous nous sommes parfois posée à la lecture de strophes de Björk, PJ Harvey ou Kurt Cobain. Sans avoir prétention de mettre à nu une personnalité au travers de quelques lignes, nous nous sommes dit qu’un psychanalyste pourrait peut-être nous donner quelques éclairages. Le docteur René Pérant a accepté de se prêter à notre petit jeu…

Glory Box, Portishead

L’utilisation du mot " boîte " dans le titre est révélatrice : celui-ci renvoie souvent à la métaphore du féminin. Cette strophe évoque la quête du Féminin. Aimer et être femme sont indissociables. Mais il est aussi clairement établi que la quête de l’être-féminin passe par la réciprocité des sentiments : aimer et être aimé (" donne-moi une raison de t’aimer, donne moi une raison d’être une femme ").

Pendant longtemps, il y a eu pour l’auteur une confusion entre l’amour et la séduction (" cela fait trop longtemps que je suis une tentatrice "), qui renvoie à la confusion entre " être " et " avoir ", et est à la base de l’amour névrotique. Il peut y avoir un affichage de la sexualité, avec beaucoup de séduction, mais pas vraiment de jouissance. Il y a toutes les apparences de la femme, mais c’est une sirène. Ce qui fait dire à l’auteur : " Donne-moi une raison d’être une femme ". Car il est possible de s’accrocher les attributs de la féminité sans les vivre au fond de soi, ce qui caractérise l’hystérie. C’est la quête de ce vécu Féminin qui est centrale ici.

Tant d’hommes, de Miossec

Avec cette strophe, on pourrait voir se prolonger la quête d’identité sexuelle chez l’être profondément bissexué psychiquement (Féminin et Masculin étant constitutifs de chaque être, mais " utilisés " différemment suivant que l’on est homme ou femme).

Le contenu de ces lignes évoque avant tout une quête identificatoire, non pas dans le registre de l’identité sexuelle (homme ou femme) mais dans le registre de la subjectivité : être un Sujet radicalement limité et coupé de l’autre, voire des bras de l’autre. Le vers : " J’aimerais bien me prendre moi-même, moi-même tout seul dans mes bras " pose d’emblée et massivement le problème d’accession à l’individualité, de l’identité primaire, subjective (avant qu’on ne soit sexué) diraient les psychanalystes. Le conditionnel " j’aimerais " montre que le résultat n’est pas encore obtenu. Plus fort encore avec les vers suivants, si l’individuation est poussée à l’extrême, elle convoque Narcisse et le rejet de tout amour objectal : " … ou encore mieux qu’avec toi ? ". L’amour narcissique est le débordement morbide de la quête d’individualité.

C’est-à-dire ?
Cette quête d’individualité est une chose normale pour le développement individuel, mais elle peut aller trop loin et aller dans le sens de se séparer de tout Objet autre que soi et à se prendre soi-même pour l’objet. Ici, le Sujet est à la recherche de sa propre identité, avec un débordement dans l’amour narcissique.

Legs, de PJ Harvey

C’est une autre forme d’amour narcissique : l’amour vampirique.
L’Objet n’a qu’un très faible degré d’altérité. Il sert à nourrir le Sujet en sentiments, en émotion, mais il ne reçoit rien en retour : " Tu allais être ma vie ".
Cette forme d’amour narcissique épuise l’Objet comme le vampire ses victimes (" as-tu souffert en saignant ? ") La survie du Sujet amoureux suppose la mort de l’Objet. De plus, dans cette forme d’amour, l’objet ne manque pas. Il est substituable et sa perte se transforme en vie pour le Sujet.
Les deux strophes suivantes évoquent l’indistinction Sujet-Objet. Il n’y a pas grande différence entre la mort de l’un et la mort de l’autre. La seule solution serait la castration signalée par la métaphore " … cut off your legs ".
Cet amour total qui viderait l’Objet de sa substance est tellement massif et incontrôlable tel " … un accès de fièvre " qu’il sert l’oeuvre de la pulsion de mort.

Qu’est-ce que la pulsion de mort ?
La pulsion de mort sert généralement à réguler les pulsions sexuelles, les " pulsions de vie ". Quand elle déborde, qu’elle n’est plus contrôlée, elles peut mener à des problèmes et devenir particulièrement négative. C’est le cas dans " Legs ", où l’amour passionnel fait fi de l’altérité, et se nourrit de l’Objet jusqu’à la mort. La survie de l’amoureux en dépend.

Creep, de Radiohead

La reconnaissance des qualités de l’Objet d’amour est une blessure du Narcissisme du Sujet : " Mais je suis une merde ".
Ici, la dépendance à l’Objet, perçu comme autonome (" je veux que tu remarques quand je ne suis pas là ") est reconnue. Il y a une coupure entre le Sujet et l’Objet, mais il y a conflit et souffrance pour le Sujet. Son intégrité narcissique

dépend de l’amour que lui porte l’Objet, notez bien, dans l’absence (" … quand je ne suis pas là ").
L’Objet est choisi pour un trait qui le rend " spécial " aux yeux du Sujet qui souhaite la réciproque : être spécial pour l’Objet. Le mot " Putain " semble bien venu, dans l’avant-dernier vers, pour signaler que le trait investi dans l’Objet est de nature sexuelle.
C’est la manière masculine du choix amoureux : il y a un surinvestissement sexuel de l’Objet.

Un surinvestissement ?
La valeur que le Sujet attribue à l’Objet est disproportionnée. C’est l’amour aveugle. Poussé à son extrême, ce surinvestissement confère à l’Objet des capacités de jouissance illimitées qui le rendent, lui, le Sujet, accessoire, petit, sans importance : " une merde ". C’est le type même d’un amour névrotique chez l’homme.

Hyper-ballad, de Bjork

Il s’agit d’une femme qui, réveillée depuis peu, est sous l’emprise d’une compulsion à jeter des objets dans le vide, qui symbolisent la totalité de son corps.
On imagine ce qui se passerait si cette femme perdait son Objet d’amour : dépression et suicide ?
Il s’agit d’une dépendance masochiste à l’objet de l’amour. Celui-ci est encore dans le plaisir narcissique et régressif du sommeil qu’elle, éveillée, commence à s’étioler. Le flirt avec la destruction, violence du corps, rehausse la valeur de l’objet d’amour. Il lui faut passer par un fantasme (une mise en scène) masochiste : " Je fais tout cela, avant ton réveil, pour me sentir plus heureuse d’être en sécurité ici avec toi. " C’est par le plaisir masochiste de la confrontation au vide qu’elle " intensifie " le plaisir d’être avec l’Objet. Aussi, tous les matins, elle marche sur la corde raide. Et quand elle revient, il est mieux que quand elle s’était réveillée auprès de lui : il a pris du brillant. Cette mise en scène lui permet de donner de la consistance à l’Objet de son amour.

Lithium, de Nirvana

Un degré de plus et nous rencontrons la psychose. Deux éléments soutiennent cette problématique :
– l’équivalence faite, en ligne directe, entre raser la tête et chasser les pensées sombres (cf. les deux premiers vers). Il y a ce qu’on appelle une " équation symbolique " entre pensées et parties du corps. Dans la psychose, il n’y a pas de métaphore. Il se rase la tête, et ça le rend heureux.

C’est assez dangereux ce genre " d’équation "…
Oui, ça peut aller très loin, il y a des automutilations chez les psychotiques.
– Le deuxième élément, ce sont les hallucinations auditives qui sont probablement évoquées : " tout ce que j’ai entendu ". C’est plus précisément du difficile deuil de cette perte sensorielle, disparition des hallucinations qu’il s’agit, ce sous l’effet du lithium…

Qui est ?
C’est un sel qui sert à réguler l’humeur, et qui est donné lorsqu’on a une psychose maniaco-dépressive avec une composante maniaque très forte, une composante euphorique et incohérente.
La perte de l’hypersensorialité avec le lithium est en voie d’acceptation, mais elle ouvre à la culpabilité d’en être responsable : " Et peut-être que c’est ma faute… "

Doll Parts, Hole

Tout comme l’extrait précédent, ce texte évoque la représentation assez directe du corps dans la pensée.
Ici, est au premier plan la représentation mécanique, dévitalisée, d’un corps habité par un Sujet qui se vit sans amour. C’est un corps de poupée, morcelé par l’énonciation " je suis les pièces d’une poupée ".
Ce tableau, enrichi de la question alimentaire, est très évocateur de la problématique de l’anorexie mentale. Les " restes " pouvant renvoyer à un Sujet-poubelle, ne recevant guère que les restes, les miettes de l’amour. Le Sujet dit combien elle est insatiable : " Je veux être la fille qui a le plus de gâteau " : c’est une boulimie de sentiments qui renvoie directement à la problématique de l’anorexie.

Elle est avide de sentiments, mais d’un autre côté elle ne reçoit que des " restes " d’amour ?
Oui. Et il y a une ambivalence quant à ces sentiments. La proximité haine-amour témoigne de cette ambivalence primaire du Sujet par rapport à ses Objets d’amour : " Je l’aime tant que ça devient de la haine ".
Choisir le corps comme emblème du manque d’amour, c’est mimer le cadavre, la mort. Mais effectivement, ne pas nourrir le corps peut aboutir à la mort stricto-sensu.