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L'Oeil électrique #3 | Jamais trop tard / Eloge de la marâtre

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JAMAIS TROP TARD / ELOGE DE LA MARâTRE

Par Lafage.

Mario Vargas Llosa, roman, 1988 aux éditions Gallimard, édité aussi en livre de poche Folio

Dona Lucrecia trouve sur son oreiller une lettre de son beau-fils Alfonso (un jeune garçon) lui souhaitant un joyeux anniversaire (elle a 40 ans), et lui disant que c'est à elle qu'il rêve toutes les nuits. Ces lignes signifiant pour elle son acceptation définitive au sein de la famille. Lucrecia va rejoindre l'enfant dans sa chambre pour le remercier. Malgré l'heure tardive, Alfonso ne dort pas. En allant pour l'embrasser, Lucrecia s'aperçoit soudain qu'elle est presque nue. Mais déjà, Alfonso " l'embrassait amoureusement sur la joue ". ?mue, elle l'embrasse aussi, mais " une sensation différente l'envahissait d'un bout à l'autre de son corps ". Elle essaie de s'écarter, mais " Alfonsito " ne la lâche pas, il l'embrasse sur tout le visage et frôle même ses lèvres. Lucrecia se demande s'il sait ce qu'il fait, mais elle conclue que non : étant donné le jeune âge du garçon. Enfin Alfonso se couche, et Lucrecia peut rejoindre son mari Don Rigoberto (père, donc, d'Alfonso), dans la chambre conjugale, elle est " en feu et toute mouillée entre les jambes ". D'emblée, nous sommes subjugués par le thème novateur abordé ici, car une question existentielle, à l'évidence, est à l'origine de ce roman : jusqu'où peut-on croire en l'innocence d'un enfant ? Sujet délicat entre tous, et très exceptionnellement abordé en littérature (ou ailleurs), surtout comme ici, de l'intérieur, sensuellement. Vous l'aurez compris. ?loge de la marâtre est un roman érotique, et de plus, déjà un classique du genre : ceci mérite d'être signalé, ne serait-ce que pour constater que l'esprit libertin du XVIIIeme siècle français n'est pas encore tout à fait mort. Et c'est une surprise, voilà qu'il a traversé l'océan et qu'il parle espagnol : Mario Vargas Llosa est péruvien.
Tout, ici, depuis la toilette intime de Rigoberto. est vécu de manière sensuelle. A propos de ses oreilles, par exemple : " Maintenant ces cônes cartilagineux étaient propres à l'extérieur et à l'intérieur, prêts à se pencher pour écouter avec respect et incontinence le corps de l'aimée " ; ou à propos de l'acte même de déféquer : " chier, déféquer, excréter, sont-ce des synonymes de jouir ? " Jusqu'aux œuvres d'art érotique, que Don Rigoberto collectionne (et qui tiennent une grande place dans la fantasmagorie du roman), tout ici est dédié aux plaisirs charnels. " Je dis et je répète : la croupe. Ni derrière, ni postérieur, ni cul, ni fesses, mais croupe. Car lorsque je la chevauche je suis saisi de cette sensation-là : celle de chevaucher une jument tout muscles et velours, nerfs et douceur ".
Mais l'érotismc est d'autant plus troublant quand Llosa met en scène Alfonso lui-même, par/ait mélange d'innocence et de vice. Les relations équivoques, entre Lucrecia et lui, vont naturellement, au fil des jours, devenir sexuelles : Lucrecia aura succombé aux charmes de l'enfant : " Et alors ce fut comme si au fond d'elle-même une digue avait soudain cédé et un torrent submergeait sa prudence et sa raison, pulvérisant des principes ancestraux qu'elle n'avait jamais mis en doute et même son instinct de conservation (...) elle l'embrassa et le caressa, libre d'entraves, se sentant autre et comme au cœur d'une tempête (...) Quand la bouche de l'enfant chercha la sienne, elle ne la lui refusa pas ". Jusqu'à la fin où, l'idylle dévoilée au grand jour, Lucrecia devra partir. Mais le doute subsiste : Alfonso est-il conscient du malheur qu'il a causé ? Est-il au moins coupable, culpabilisable ? A voir. Il n'y a de définition exacte de quelque chose de troublant comme l'enfance que dans la littérature, et en particulier dans le roman. Les mots, les descriptions concrètes, les situations vécues de l'intérieur, les scènes : tout ceci pour saisir et définir ce qu'il y a de plus ambigu et irrationnel dans la vie humaine. L'enfance, ce mélange inextricable de vertu et de vice, cette frontière invisible entre l'innocence et la connaissance, c'est le thème majeur de ce roman extraordinaire, à l'écriture à la fois précise et subtile : Mario Vargas Llosa a réussi un coup de maître. Car il s'agissait ici de montrer, justement, que cette frontière est plus qu'invisible - c'est-à-dire inexistante.