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L'Oeil électrique #32 | Télévision / Jean-Christophe Victor : Les 11 minutes nécessaires et suffisantes de Monsieur Victor

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Comment la culture du café au Costa-Rica influe-t-elle sur les taux d’intérêt japonais ? Existerait-il un rapport, fût-il lointain, entre la construction d’un oléoduc au Proche-Orient et l’attention particulière portée à l’Irak sur les rives du Potomac ? Autant de questions auxquelles Le Dessous des cartes est susceptible de répondre. Rigueur et précision restent de mise dans ce qui pourrait être à la fois un cours de géographie ou de vulgarisation géostratégique. Un ascétisme que revendique Jean-Christophe Victor, concepteur du programme dans lequel il met en lumière, chaque semaine* sur Arte, une problématique géopolitique à travers le prisme des cartes.


Ce parti-pris qui fonde l’émission trouve son origine dans le LEPAC (Laboratoire d’Etudes Politiques et Cartographiques), agence privée que Jean-Christophe Victor crée avec d’autres chercheurs en I992. Suite à un doctorat en anthropologie et à l’Institut des langues et civilisations orientales, Jean-Christophe Victor s’oriente d’abord vers la diplomatie. Après avoir œuvré en qualité d’attaché culturel, en Afghanistan notamment, il est recruté par le Centre d’analyse et de prévision (CAP) du Quai d’Orsay. Il y rédige pendant plusieurs années des notes de synthèse résumant la situation d’un pays. Mais le manque de créativité lié à son emploi lui donne envie d’élargir son horizon. D’une part, “le prix d’achat de la matière grise au CAP était indigne. Une note de synthèse rédigée après trois semaines d’enquête au Vietnam était vendue 5000 francs alors qu’un analyste financier était rémunéré 5000 francs par jour.” Il constate par ailleurs l’absence réelle en France – contrairement aux pays anglo-saxons – de think tanks (laboratoires d’idées). Il décide alors de fonder sa propre société, acquérant par là-même une indépendance “politique”.

Si la création du LEPAC était à bien des égards un pari, celui-ci s’avère aujourd’hui gagné. Gouvernements et entreprises remplissent le carnet de commandes, et la société assure des séminaires de formation (hauts fonctionnaires, Collège Inter Armée de Défense, Centre de Formation des Journalistes, membres d’ONG, universités…). Enfin, elle fournit depuis 1991 à la Sept/Arte les 42 programmes annuels du Dessous des cartes.

L’idée est d’expliquer “l’actualité” à partir de travaux cartographiques du LEPAC en réinstaurant la dimension historique dans l’analyse. Sans toutefois oublier de mettre en avant la contrainte géographique afin de distinguer les “tendances lourdes” qui façonnent le monde à long terme. Trois dimensions paraissent essentielles dans la méthode appliquée : le voyage, la pluridisciplinarité et la lenteur. Ce dernier élément est le plus important. La synthèse et le souci de clarté ne doivent pas souffrir de l’urgence.

Les choix éditoriaux sont entièrement assumés par Jean-Christophe Victor et son équipe, dont Virginie Raisson et Franck Tétart ; ses co-auteurs. Les thèmes sont validés chaque été pour l’année suivante. “On préagit, on ne réagit pas à l’actualité.” L’émission évolue sans cesse au fil des ans. Elle adapte les outils de cartographie aux flux économiques ou intègre des dimensions plus “éthiques” (les questions d’éducation, de santé publique, de droits de l’homme, etc.).

Mais, quel que soit le thème traité, la quantité d’informations à transmettre reste importante. Le concepteur demande toujours plus de temps d’antenne à la direction de la chaîne. Le format (6 minutes en 1992) se transforme et augmente de 5 minutes en 7 ans. Bien entendu, les changements prennent en compte les remarques des téléspectateurs. Parfois paradoxale, la parole de ces derniers oscille entre deux positions : “Certains trouvent l’émission trop dense, d’autres estiment qu’elle est trop courte. Mais si je passe de 11’ à 20’, je vais garder le style et atteindrais alors le point de saturation de la concentration.” Le passage à 26’, évoqué l’année dernière par Jean-Christophe Victor n’est donc plus à l’ordre du jour. Un pilote sur les relations franco-allemandes, avec plusieurs chapitres, a néanmoins été réalisé. “Mais ça ne marche pas tellement. Parce qu’on sort du langage cartographique pour revenir dans un langage plus classique d’entretiens avec un acteur lambda. Pour le moment, on n’utilisera le format de 26’ que pour des numéros spéciaux ou à l’intérieur de soirées thématiques Au-delà de ça, cette formule nécessiterait beaucoup de travail si elle était répétée toutes les semaines.” Et d’ajouter : “La télévision reste pour moi une activité parmi d’autres. Elle n’est pas une fin mais un moyen et je n’ai pas envie de m’y consacrer à plein temps.

Des propos qui soulignent un peu plus le caractère “chronophage” de ce médium sur lequel Jean-Christophe Victor reste nuancé. “Si on considère en effet l’ampleur des moyens de TF1, M6 et France 2, on ne peut pas vraiment dire qu’il y ait beaucoup d’efforts pour instaurer ou restaurer le plaisir d’apprendre à la télévision.” C’est d’ailleurs en ces derniers termes qu’est présenté Le Dessous des cartes sur le site Web d’Arte. “Par contre, si on est dans une vision optimiste ou combative, on peut se dire que des individus se cultivent un peu grâce à la télévision. Je ne suis pas en train de parler de piqûre de culture à tout prix et loin de moi l’idée de supprimer tout divertissement. Cependant, mettre des émissions un peu complexes à 20h50 permettrait à pas mal de personnes de découvrir leur propre plaisir d’être face à la difficulté. Reste que peu de directeurs de chaînes prennent ou prendraient le risque d’une programmation en prime time de telles émissions. Ils campent sur des positions du mieux disant au “service du peuple” pour faire aboutir le marchand.” S’agirait-il d’un effet d’annonce ou même…d’une sollicitation ? “Non. J’appelle ça de mes vœux. Toutefois, je ne suis en discussion avec personne et n’ai rien fait depuis des années pour aboutir. D’abord parce que je n’ai pas ce temps-là. Ensuite je ne concevrais pas de faire une telle chose vis-à-vis d’Arte. Il y a une bonne identification avec la chaîne. C’est eux qui payent, diffusent et en plus ils nous ont été d’une très grande fidélité depuis 10 ans. Par ailleurs, Arte est un projet de philosophie européenne et cela me convient très bien.” On l’aura compris Le Dessous des cartes est un programme que l’on pourrait qualifier de “minoritaire” dans le PAF.


Peut-on dire de votre travail qu’il consiste à introduire de la nuance pour lutter contre le sens commun ?

Le but est d’introduire un tel paramètre dans cet instrument puissant. Les gens sont beaucoup plus intelligents que ce que TF1 voudrait leur faire croire. Mais l’accumulation des connaissances ne permet pas l’intelligence. On cumule une quantité impressionnante de savoirs jour après jour. C’est considérable. Puis, il faut ranger et là on ne sait pas. Lorsque j’enseignais à l’ENA, j’étais face à des étudiants qui étaient dans une logique de bachotage pour arriver premier au concours. Ils avaient une conception cumulative et non interrogative du savoir. Interroger le savoir, c’est faire du lien – inter ligere – et acquérir de la méthode. Notre objectif n’est pas de fournir plus de savoir mais de montrer comment s’opèrent les liens, comment on range. Donc nous faisons du lien en étant pluridisciplinaires.

Dans mon travail, je me pose des questions somme toute simples : où, quand, quoi, comment… ? Puis j’analyse et j’essaye d’en tirer des conclusions.


La vision anglo-saxonne du “journalisme” sur laquelle vous appuyez votre travail, qui préconise les faits avant tout, tend surtout à l’objectivité. Mais vos analyses introduisent également une part de subjectivité. Comment peut-on allier les deux ?

Assez mal… Assez mal de la part de l’émetteur que je suis. Je ne me sens vraiment pas du tout “journaliste”. Mais il faut être honnête vis-à-vis du récipiendaire qu’est le public. Il faut lui dire : “Attention, je suis objectif mais également subjectif.” Nous avons tous une grille de lecture. Chacun voit l’Histoire à travers son prisme personnel. Malgré tout, il faut tenter d’être le plus neutre possible lorsqu’on présente les choses. Il faut essayer d’entrer dans la logique de l’Autre, pour éviter le “choc des civilisations”, éviter la chute de neutralité. Je ne dis pas que l’objectivité est impossible mais que l’on peut y tendre à travers cette neutralité.

Cela suppose peut-être aussi de sortir d’un traitement purement géopolitique des sujets...

C’est presque vrai.

C’est toujours difficile de définir la géopolitique au sens strict du terme. Ce peut être des rapports de pouvoirs sur des territoires, ou l’intelligence des rapports de force. Par exemple, l’analyse des causes qui poussent les Etats-Unis d’Amérique à intervenir en Irak est vraiment un problème géopolitique (dans lequel on peut inclure des stratégies économiques, énergétiques, etc. ; des représentations sur le monde arabe ; des visions de ce que doit être l’exportation de la démocratie…). Le problème du terrorisme, quant à lui, n’est pas uniquement géopolitique – d’ailleurs les Etats-Unis en traitent les effets et non pas les causes. Il y a une très jolie phrase de Paul Valéry que j’aime beaucoup et qui est valable pour l’information en général : “Bien sûr il y a l’écume, bien sûr il y a les vagues moi ce qui m’intéresse, c’est la mer.” Moi ce qui m’intéresse, c’est la mer ; ce sont les causes.

Reste que le monde n’est pas une chose pilotable. Donc si on veut, non pas traiter de l’ensemble des problèmes – ce serait ridicule – mais avoir une vision plus large de ce qui explique les rapports de force, il faut sortir de la conception géopolitique stricte. Voilà pourquoi, depuis deux ans environ et sur les 40 numéros que nous fournissons chaque année, 10 à 15 % des émissions sont consacrées à des problèmes autres. Par exemple, on a consacré un numéro à Amnesty International. On a traité des tableaux comparatifs de la santé dans le monde. Il y a également eu deux émissions consacrées à l’éducation et à l’alphabétisation. Ce sont des choses qui ont été reprises dans les écoles, etc. On a aussi beaucoup traité des questions environnementales où on est dans des problématiques de rapports de force ; c’est très net. (1) Voila pourquoi je fais évoluer depuis deux ou trois ans mes approches géopolitiques vers un “magazine de pédagogie politique”.


Cet élargissement reflète-t-il des envies d’engagements ou de prises de position publiques ?

A partir du moment où l’on consacre une émission entière à un organisme de défense des droits humains, c’est déjà en soi un engagement. Ce dernier est bien sûr révélateur de préoccupations. Mais je ne vais pas jusqu’à dire à la fin de l’émission : “Engagez-vous.” Par contre je pointe la baisse des recrutements chez Amnesty International par exemple et on essaye d’analyser le pourquoi de cette tendance. Maintenant, y a-t-il à l’intérieur de cela des prises de position personnelles… ? En tout cas, il y a une vision du monde, et au minimum, une philosophie politique.

Nous avons, par exemple, préparé un numéro avec Médecin Sans Frontière intitulé “A l’ombre des guerres justes”. Dans un dernier rapport, MSF montre qu’aujourd’hui, nous sommes dans une idéologie où se développe la notion de guerres justes. Si on va au Kosovo, c’est pour des raisons morales. Si on va en Irak, c’est pour abattre des dictatures. Si on va en Afghanistan, c’est pour mettre fin au régime des talibans. Il y aurait donc une dimension morale dans les interventions. Or, c’est faux à 99%. Les interventions sont animées par d’autres calculs. Notre émission s’appuyant sur ce rapport est une prise de position. Je me sens en accord avec cette analyse qui vise à prévenir les gens de la pensée dominante.

De même, j’avais écrit l’année dernière que le “choc des civilisations” (2) n’existait pas. En sens inverse, j’avais rédigé trois numéros sur la politique étrangère américaine en décembre-janvier 2003 avant l’intervention en Irak. Je concluais en disant que ce serait une profonde erreur de laisser les Etats-Unis seuls. J’étais en désaccord avec le consensus franco-allemand.

Sur Israël par exemple, je suis sorti de la neutralité. Ma conclusion à cette émission Jérusalem, une ville, deux capitales ? affirmait qu’il y avait deux pièges dans lesquels je refusais désormais de me laisser enfermer. Premièrement, les habitants d’Israël n’ont pas le monopole de la victimisation. Deuxièmement, je veux pouvoir parler, en France, de la situation de la Palestine et critiquer le comportement de l’Etat hébreu sans être taxé d’antisémitisme. Bon, cela a été très mal reçu. J’ai d’ailleurs été le destinataire d’énormément de courrier dont certains très insultants Ce qui m’avait fait de la peine et fut loin de me laisser personnellement indifférent. Mais en rentrant de Jérusalem, j’avais éprouvé le besoin d’annoncer les choses publiquement, d’avoir un propos libre, respectueux et subtil. Il ne s’agissait ni d’un coup de gueule, ni de colère, ni même d’un coup de cœur pour les Palestiniens. C’était mûrement réfléchi. Mais ça reste plus difficile que d’expliquer pourquoi on était pro-serbe ou pro-croate. Car il y a une complexité chez les Juifs mue par la multiplicité des dimensions : Etat, nation, religion. On ne peut pas découpler les dimensions et les paramètres.

Donc, on peut considérer tout cela comme des prises de positions.


Existe-t-il en matière de géopolitique une pensée dominante? Et si oui, comment se traduit-elle ?

C’est compliqué. Ça met en branle plusieurs chaînons du comportement de l’individu en société. Oui, il y a une pensée unique géopolitique. Cela a été très longtemps le cas vis-à-vis de l’Union soviétique ; soit de l’adoration, soit de la crainte. C’est aujourd’hui le cas vis-à-vis de la Chine et même des Etats-Unis.

Là, sur le “choc des civilisations”, on peut dire qu’il y a une pensée dominante. Il en est de même sur le caractère “monopolaire” (3) des Etats-Unis d’Amérique. Pourtant, lorsqu’on creuse l’état de ce pays aujourd’hui, on peut sortir de cette pensée unique. Regardez ce qui s’est passé avec l’Irak et les Nations Unies ; je ne me réjouis pas que la France ait eu raison, la question n’est pas là. Regardez qui détient les bons du trésor américain, c’est toujours le Japon (4). Regardez l’ampleur du déficit commercial américain en faveur de la Chine (5). Regardez l’ampleur du déficit budgétaire qui atteint plus de 400 milliards de dollars (l’équivalent de leur budget de la défense) et ne cessera d’augmenter. Tout cela ne met pas les Etats-Unis dans une position durablement monopolaire. Donc, on peut dépasser cette vision et se demander ce qu’il adviendra des USA en 2010 par exemple.

On pourrait aussi s’attarder sur le rapport de nos sociétés à leur environnement, qui occupe un peu plus aujourd’hui les décideurs, notamment économiques. On ne mesure pas à quel point les modes de vie de nos sociétés économiques – chanceuses et avancées – n’est plus compatible avec une protection de l’environnement. Il faut changer nos mentalités et nos comportements. Vous venez en voiture, moi aussi… En gros, ça va pas. Ça va pas et on est très loin du correctif. Je ne pense pas que les choses avancent sur le plan des mentalités. En même temps, il y a en Europe et aux Etats-Unis des industriels qui se sont adaptés très vite ; beaucoup plus dans les milieux de la production industrielle que dans le milieu des transports. La pollution (émanations en CO2) provoquée par les transporteurs devient majoritaire par rapport à celle des industriels. L’écart se creuse.

Bref, cette problématique environnementale – et la façon dont les choses sont vues par les uns et les autres – est éminemment politique, éminemment “rapport de force”. Ce sera sans doute porteur de conflits. On peut imaginer des conflits Nord-Sud qui se développent. On peut imaginer des réfugiés climatiques…

Donc, on arrive à dégager, peut-être, des façons de voir les choses qui ne soient pas trop moutonnières. Ça ne veut pas dire que l’on ait raison.


Quelle a été votre réaction au 21 avril 2002 ?

Le choc émotionnel est passé. Mais la préoccupation intellectuelle et politique demeure pour de multiples raisons. Mon niveau d’inquiétude a plutôt tendance à augmenter avec d’une part la situation européenne, la situation économique française, et d’autre part la façon classique dont ce gouvernement ultra-libéral mène les affaires. Je ne suis pas sûr que demain les gens trouvent moins illégitime de revoter extrême droite. Je ne crois pas non plus que l’effet Sarkozy puisse conduire à un dégonflement et permette à l’UMP de récupérer ceux qui ont choisi hier le Front National. D’ailleurs le succès de Jean-Marie Le Pen a légitimé les idées de l’extrême droite en France. Beaucoup de personnes les pensaient, mais n’osaient pas les dire. Désormais on le dit d’autant plus facilement que Le Pen a passé le cap du premier tour. C’est dire si c’est légitime.

Il y a eu légitimation et elle porte en son sein une idée que je hais : “Après tout on a le droit d’être raciste et antisémite.

Donc non, je ne suis pas rassuré. Les sociaux-démocrates en France sont sans idées. Leur robinet est fermé ; celui des Verts aussi. C’est une situation de monoculture politique. Je ne leur jette pas la pierre. Ce doit être très difficile de gouverner. Si on avait deux à trois points de croissance, ce serait beaucoup plus facile. On ne les a pas et je suis d’autant moins à l’aise quand je vois les hommes et femmes politiques patauger comme vous et moi. Je ne suspecte pas Jacques Chirac, Jean-Pierre Raffarin, Nicolas Sarkozy ou Dominique de Villepin de courir à l’abîme. Mais je ne suis pas rasséréné. Ce n’est pas agréable.

Alors je réfléchis parfois à la manière de faire de la politique autrement. Je ne pense pas que la télévision soit le lieu pour ça. Je pourrais l’utiliser mais ce n’est pas le mandat que je possède de mon commanditaire. Je serais bien candidat à une élection en proposant un contrat très clair aux gens : un contrat de non mensonge entre l’élu et l’électeur ; élisez-moi pour 5 ans et à terme je ne me représenterai pas (déjà, on supprime l’hypothèse d’actions effectuées pour être réélu). J’avais très envie de me présenter au Parlement Européen en 2004. Pour cela, il fallait rentrer dans un parti politique français. Mais je n’en ai pas du tout envie…


Pourquoi ne pas en fonder un… ?

Mouais… Pourquoi pas ! Bon, disons que je m’intéresse plus à l’action publique qu’à la politique.


En attendant, qu’en est-il de vos autres projets ?

On a créé, avec une trentaine de copains, des chefs d’entreprises et autres, une association politique appelée Tolede – pour Tolérance / Education. Ses objectifs passent par trois axes : travailler sur l’évolution des programmes scolaires (on compte d’ailleurs parmi nous des proviseurs), la discrimination à l’embauche en partenariat avec le Medef, la création d’une radio. Pour ce dernier projet, un groupe de travail, constitué de spécialistes plus ou moins connus (de France 3, de LCI, etc.), s’est mis en place. Ils ont œuvré bénévolement pour que nous puissions déposer le dossier au CSA. C’est aujourd’hui chose faite et nous attendons de voir si un canal sera libéré. Mais ce n’est pas évident.


Pouvez-vous nous en dire plus sur votre travail quant à l’évolution des programmes scolaires ?

Nous allons travailler avec des professeurs, du secondaire pour l’essentiel, qui écrivent les manuels scolaires, pour essayer de faire évoluer les choses. C’est-à-dire faire coïncider les savoirs acquis par les enfants avec la réalité dans laquelle ils vont vivre. Par exemple, la guerre franco-algérienne n’a jamais été nommée dans ces termes.

Pour Vichy, on a quand même eu un Président de la République (François Mitterrand pour lequel j’ai voté deux fois) qui a fait en sorte d’éviter le lien entre Vichy et la France. Il a fallu attendre Jacques Chirac pour avoir enfin une reconnaissance… Il y a comme ça des choses lentes à bouger. Ce sont des échéances longues sur 5, 10 ou 15 ans, mais j’aime bien. L’idée est de travailler en amont.

Ceci étant, il ne faut pas désespérer. Nous avons comparé, avec le groupe de travail, les programmes scolaires français et allemands de la seconde. Nous avons constaté finalement qu’ils apprenaient la même chose. Donc le travail de la commission franco-allemande des programmes scolaires – mise en place en 1963 par le traité de l’Elysée – a porté ses fruits. Un enfant allemand possède une vision commune sur l’UE avec un Français ou un Italien. Mais sur l’origine des causes des guerres entre nos deux pays, ç’a été plus difficile.


Vous collaborez également à un projet pédagogique avec les collèges Victor, nommés ainsi en référence à Paul-Emile Victor, votre père et célèbre ethnologue…

On a formé avec les professeurs de ces collèges et lycées, au nombre de 24 aujourd’hui, un groupe de travail pour établir ce projet pédagogique qui tourne autour de trois problématiques : Qui est Paul-Emile Victor ? – Le développement durable, pour que les enfants soient tout de suite conscients de l’ampleur du problème – et Qui est l’Autre ? (la culture du respect de l’Autre ; la différence enrichit et ne menace pas).

Parfois, les établissements m’invitent. J’y vais pour parler avec des gosses car c’est tout à fait différent des adultes. Mais plutôt avec des 5ème et des 6ème qu’avec des 3ème qui n’osent plus parler. Les premiers sont encore libres et restent des sources de captation des choses.


Vous disiez qu’un des axes de travail de Toled passe par un partenariat avec le Medef. N’est-ce pas un très gros compromis ?

Mais où sont les instruments du pouvoir ? Dans le résultat des urnes, dans le pouvoir économique, médiatique, etc. La compromission est ici utilitariste. Je reste en désaccord avec le Medef, mais je ne le suis pas frontalement. Je préfère m’exprimer dans des journaux de droite (mais pas d’extrême droite, je ne peux pas) plutôt qu’avec des gens comme vous. Car dans ces organes, je vais toucher des personnes qui ne m’écoutent pas. Alors qu’avec vous, je prêche des convertis. Les conservateurs, les économistes, les financiers sont bien plus difficiles à convaincre.


Notes


* Depuis la réalisation de cet entretien en septembre 2003, l’émission est passée d’une programmation le samedi à 20h00, au mercredi à 22h40.


(1) Une émission a également été consacrée au personnage de bande dessinée Corto Maltese.


(2) Le Choc des civilisations (Odile Jacob, Paris, 1997) de Samuel P. Huntington a d’abord été publié en 1993 aux Etats-Unis. Son auteur a été un expert en contre-insurrection (sic)

de l’administration Lyndon Johnson au Vietnam, puis directeur de l’Institut d’études stratégiques à Harvard et enfin

expert auprès du Conseil National Américain. La thèse du livre évoque une vision censée éclairer le monde d’aujourd’hui et les conflits de demain. Nous serions confrontés à une nouvelle structure organisationnelle de la planète. Structure qui ne serait plus idéologique, politique, ou économique, mais culturelle et “civilisationnelle”. Les conflits à venir seraient donc

“inter-civilisationnels”. Et Huntington de dénombrer huit cultures (occidentale, confucéenne, japonaise, islamique, hindoue, slave orthodoxe, latino-américaine et – peut-être – africaine) potentiellement porteuses de conflits. La religion symboliserait les systèmes de valeurs des civilisations et la ligne de rupture passerait entre “

l’Occident et le reste […] Le monde n’est pas un. Les civilisations unissent et divisent l’humanité... Le sang et la foi : voilà ce à quoi les gens s’identifient, ce pour quoi ils combattent et meurent.” Une hypothèse qui donne du grain à moudre aux décideurs de Washington et autres fondamentalistes.

La thèse du professeur américain Huntington sert plus les intérêts de la politique extérieure américaine qu’une analyse fine et diversifiée de la configuration géopolitique d’aujourd’hui.” Jean-Christophe Victor in Il n’y a pas de choc des civilisations, Lepac / Arte, novembre 2002


(3) De la fin de la Seconde Guerre mondiale à la chute du mur de Berlin, l’ordre régissant le monde était essentiellement qualifié de bipolaire. C’était l’élément structurant de l’époque, qui a disparu avec l’implosion de l’Union soviétique. Aujourd’hui, l’absence de pôles structurants évidents amène certains à qualifier le monde de monopolaire (sous-entendu avec une domination étasunienne) et d’autres de multipolaire.


(4) “Le Japon détient la clé de la santé du système financier américain : si jamais les fonds nippons investis dans les bons du Trésor américains étaient rapatriés, Washington se verrait contraint de financer sa dette en faisant appel à l’épargne intérieure. Etant donné la faiblesse de celle-ci (négative en 2000), l’impact déflationniste d’un tel reflux des capitaux serait dévastateur pour l’économie américaine.” Chalmers Johnson in Le Monde Diplomatique, mars 2002


(5) Statistiques et analyses montrent que le commerce entre les deux pays a été largement favorable à la Chine ces dernières années. Imaginons que la Chine ferme ses portes, à peine entr’ouvertes, et privilégie des échanges avec la zone Euro par exemple. Le déficit étasunien en faveur de la Chine augmenterait d’autant, plaçant les Etats-Unis d’Amérique dans une situation plus que difficile.