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L'Oeil électrique #5 | Métier / Détective privé

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Par Denis Leroux.

Être détective privé – ou agent privé de recherche, terme plus moderne – nécessite du temps, comme en témoignent les nombreux lapins dispersés sur la route qui menait au bureau de Lucien Lepel. Quand la rencontre se déroula enfin, l’accueil fut très chaleureux. Ici, pas d’imper et de chapeau mou accrochés au bras d’un portemanteau. La bouteille de whisky ne trône pas sur le bureau, mais s’aligne militairement sur d’autres apéritifs dans le petit bar du privé.
Propos tenus en toute liberté et en toute subjectivité...

Est-ce que vous avez une formation particulière ?
J’ai une formation de droit. Une licence. Ce qui aurait pu m’amener à intégrer différents corps de métiers, j’aurais pu travailler dans les assurances, devenir inspecteur de police, faire du droit des affaires. Ce que je reproche justement aux pouvoirs publics, c’est de laisser l’impression aux jeunes qu’ils peuvent ouvrir un cabinet de détective privé sans rien, sans diplôme, je trouve ça un peu abusif. C’est les faire rêver, leur laisser croire que ce métier ressemble à ce qu’on voit dans les émissions.

Et en dehors de votre licence, vous avez une formation particulière de détective. Je vois que vous avez un diplôme sur votre mur.
Oui, bien sûr. Mais ce diplôme, je ne le mets pas en avant. Je sais qu’on peut obtenir ce genre de diplôme et être tout à fait à côté de la plaque. Un détective privé doit avoir des qualités en plus, qui font la différence.

Lesquelles ?
L’intelligence. Ce qui est différent de l’instruction. La sensibilité. On ne travaille qu’avec des cas difficiles, sensibles, et sans cette sensibilité, on arrive à tirer sur le corbillard. On peut faire ce métier sans cette sensibilité, mais je reste convaincu que l’humanisme est une qualité nécessaire, compte tenu de la responsabilité qui nous incombe.

Comment on s’installe ? Vous êtes devenu détective dès la fin de vos études ?
Non, j’ai fait autres choses avant. Mais c’est un métier que je voulais faire, que j’avais toujours voulu faire.

Donc au départ vous avez cédé à l’appel du rêve, finalement.
C’est exact. Je pouvais être policier mais je n’ai pas voulu... je n’ai pas l’esprit militaire, donc j’aurais été un mauvais policier. Je ne suis pas très à l’aise avec la discipline, la hiérarchie... Alors qu’un détective privé, je voyais ça comme être policier à son propre compte.

Quels sont vos types de contrats ? Affaires civiles, pénales, commerciales ?
L’idée répandue en France c’est qu’un détective privé s’occupe uniquement des maris trompés ou des femmes trompées. C’est dommage de s’arrêter à cette image du type qui fouine partout, qui s’occupe des affaires privées des autres. Déjà, nous devons exercer dans le cadre de la légalité : il faut déposer une demande à la préfecture.

Mon travail consiste, par exemple, à rechercher des gens ; ce peut être un enfant disparu. Il y a beaucoup plus d’enfants disparus que les médias ne le disent. Et des adultes aussi. Il y a des hommes, des femmes à la recherche de leur mari qui est parti et a une responsabilité familiale. Dans le cas d’une recherche pour une affaire de succession, je peux travailler avec un notaire. Il y a aussi les enquêtes pour constat d’adultère.

Et les affaires commerciales ? J’ai cru comprendre que votre profession était en train de changer (l’adultère n’étant plus un délit) et que les affaires commerciales se développaient.
Oui. Mais ce n’est pas un changement radical. Ce sont des affaires supplémentaires. L’adultère n’est effectivement plus un délit depuis 1975 mais c’est une infraction qui peut être importante dans certaines situations de divorce. Que ce ne soit plus un délit ne change rien à cela.
Le divorce par consentement mutuel est quelque chose de récent...
Pour moi, ces affaires dépendent peu de telle ou telle conjoncture, sinon la conjoncture économique. Avec la crise, les gens peuvent ne pas avoir l’argent qu’il faut, car nos services sont onéreux. Mais ceux qui viennent nous voir espèrent souvent obtenir des intérêts financiers. Dans 95% des cas rencontrés, il y a des intérêts financiers en jeu.

Puisqu’on parle de tarif, combien coûtent les services d’un détective privé ?
C’est très dur à évaluer. C’est énormément lié au cas ; cela dépend des frais engagés, du kilométrage parcouru, de la complexité de l’affaire... Et aussi des intérêts que le client espère obtenir. Moi, je travaille sur une base forfaitaire, mais je ne vais pas demander 25, 30 ou 50 000 francs systématiquement. Je peux demander 15 000 francs si l’affaire ne justifie pas plus.
Je pense qu’il ne faut pas s’étonner si on a une image d’escroc quand les prix sont prohibitifs. Les gens qui viennent nous voir sont des gens qui ont déjà frappé à quelques portes, et qui sont désemparés. C’est parfois leur ultime démarche.

Il faut quand même dire que d’une manière générale, tout le monde n’a pas les moyens de se payer un détective privé.
C’est très onéreux. Et puis quand quelqu’un appelle un détective, il y a souvent une procédure en cours. Prenons le cas d’une procédure de divorce : il faut payer son avocat, il faut payer le détective privé ; c’est lui qui amènera l’huissier sur les lieux s’il y a un constat d’adultère à faire, et c’est 4000 à 4500 francs de plus. Bon, le détective privé n’est pas une obligation dans ce genre d’affaire, mais souvent les gens font appel à lui pour plus de sûreté.

Faut-il beaucoup de matériel pour exercer ce métier ?
D’après ce que j’ai appris à l’école, il faudrait seulement un bloc-notes et un bon appareil photo. Ce temps est révolu. Il faut ajouter un micro-ordinateur, des jumelles, une bonne paire de talkies-walkies... C’est vrai que je suis bien équipé.

Pour utiliser le talkie-walkie, il faut être deux !
Dans notre métier, en règle générale, le besoin d’un assistant est fondamental. Exemple : une surveillance où il y a deux sorties. Je peux également me faire repérer lors d’une filature, un relais est alors indispensable.

Il faut avoir beaucoup de relations dans ce métier.
C’est vrai. C’est normal.

Des relations dans la police, par exemple ?
Oui, mais bon. On peut très bien être médecin ou architecte et avoir des amis dans la police.

D’accord, mais je vous parle de relations professionnelles.
Oui. Je voulais dire que je n’ai pas de relations avec arrières pensées. Je suis détective privé, j’ai des amis, mais sincèrement je ne les sollicite pas souvent, ça finirait par embêter tout le monde. Ceci dit, il faut avoir des relations. Dans la police, pourquoi pas dans l’administration, mais aussi auprès de l’homme de la rue. Parce que la police ne sait pas tout, les administrations non plus.

Puisque nous parlons de l’homme de la rue : quand vous faites une enquête, comment celui-ci vous reçoit-il ?
Je crois qu’il ne faut pas être détective privé avec les gens un jour, et avoir un autre rapport avec eux le lendemain. Il faut être naturel avec tout le monde. J’ai des amis un peu partout. Maintenant je vous connais ; je peux connaître quelqu’un qui soit SDF par exemple. Mais dans la mesure où c’est une connaissance, ce n’est pas quelqu’un qui va me poser une question sur ma profession. C’est une relation hors profession…

Vous avez une carte professionnelle. Quand vous sortez votre carte, quelles sont les réactions des gens ?
Je sors ma carte très très rarement parce que par définition, un détective privé doit rester "privé".

Dans ces relations, est-ce que la "tricoche" existe ? Les rémunérations pour services rendus, parfois au noir ; le billet qu’on pose sur le comptoir pour obtenir un renseignement…
Je ne fais pas ça.

C’est légal ?
Pourquoi pas ! Mais si on s’arrête à la notion de "pourboire". Concernant les pots-de-vin, peut être est-ce utile à la profession puisque cela se fait, mais je ne fonctionne pas comme ça. Un jour, un avocat a proposé de me rémunérer pour les clients qu’il aurait eu par mon intermédiaire. J’ai refusé. Je lui ai répondu que nous pouvions seulement échanger notre clientèle. Je ne voudrais pas donner l’image de quelqu’un qui est parfait. J’ai beaucoup de défauts. Mais "jouer au privé", ça ne va pas loin. On serait donc loin de cette image de la littérature et du cinéma, de Philippe Marlowe à Nestor Burma.

Oui. C’est une erreur. Le type plein de femmes, toutes blondes...

Et cette liberté, ce mode de vie un peu anarchiste qui est souvent associé à ce mythe ?
Je suis marié, j’ai des enfants, je tiens à ma famille. Tout ce que je voudrais, c’est les garder le plus loin possible de mon travail. Parce qu’on ne sait jamais, il peut y avoir des représailles.

C’est un métier dangereux ?
Je n’y ai pas trouvé de danger jusque là. Il suffit de faire son travail. Le danger, on le sent. Je ne veux pas travailler dans le milieu des drogués, des trucs comme ça. Je ne veux pas qu’il y ait des retombées sur ma famille. Je sais où mettre les pieds, par conséquent il ne s’est jamais rien passé. Ni un coup de poing, ni un ennui quelconque... Une fois peut-être : j’ai été menacé avec un fusil. Parce qu’un autre détective était passé avant moi, il avait accusé le type de vol, de ceci, de cela...

Être détective privé, ce peut être dangereux si on travaille de manière dangereuse, et surtout de manière dangereuse avec les gens.

Est-ce alors un métier qui peut être moralement éprouvant ?
C’est éprouvant parce qu’on est en quête de la vérité et nous sommes une pièce maîtresse dans certains conflits d’intérêts. Mais c’est un beau métier ! C’est comme le sexe si vous voulez. Utilisé à des fins perverses, ça peut être un enfer. Utilisé à des fins honorables, c’est très beau. Le métier de détective privé peut être très beau. Quand vous avez un gamin qui a disparu et que la police n’a pas les moyens de le retrouver, le faire, c’est beau.

Pour revenir au mythe, et cette image de "fouineur", est-ce que ce métier correspond selon vous à une idéologie particulière ?
Les privés sont des auxiliaires de justice. Par conséquent mon idéologie est la suivante : équité, honnêteté et tous les chemins qui mènent au bien.

Cela dit, un détective, comme dans tous les métiers, peut être de toute tendance idéologique ou politique. Beaucoup de détectives privés sont des anciens policiers. J’ai connu des détectives privés d’extrême-droite.

Un secret professionnel ?
Bien sûr. À partir du moment où on est en possession d’informations à caractère privé, on est soumis au secret professionnel. On ne peut pas manipuler cela d’une manière malhonnête.

Quelle différence y a-t-il entre un détective à son compte et une agence de détectives privés ?
Dans une agence, il y a un directeur, des collaborateurs. Se constituer en agence est avant tout lié à une motivation d’expansion. Toute association a des avantages et des inconvénients. Pour les avantages : ils ont la notoriété. Quand on est trois ou quatre, on est considéré comme une grande agence. Et puis il y a l’addition des compétences.
Mais sur les affaires traitées, on a les mêmes paramètres. Les agences s’occupent peut-être davantage des affaires industrielles, de fuites dans les entreprises. Entendez fuites de documents. Je précise parce qu’une fois une personne m’a appelé pour savoir ce qu’il était possible de faire contre les fuites d’eau.

Dernière question : entre le moment où je vous ai contacté et celui où nous nous sommes vus, vous êtes-vous renseigné sur mon compte ?
Non. Pourquoi aurais-je à fouiller votre vie ? Cela n’a aucun intérêt. Mais certains l’auraient peut-être fait. C’est injuste.

J’aurais pu plus mal tomber...
Je n’avais pas à fouiller dans votre vie privée. Quand on le fait, c’est dans un cadre bien particulier, suite à la demande d’un client, et on ne peut pas le faire n’importe comment, pour n’importe qui.
Maintenant, si je l’avais fait, vous n’auriez pas pu le savoir.