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L'Oeil électrique #7 | Littérature / Jean-Bernard Pouy

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Par Soraya Morvan.

"Les écrivains se prennent la tête et ont souvent l'impression qu'ils sont extrêmement importants. Moi pas du tout."

Jean-Bernard Pouy est le "papa" du Poulpe, la fameuse série de romans de gare contredisant SAS : "Le Poulpe, ça ne s'attendrit pas, faut taper dessus avec un marteau ". Mais dans la vie, Pouy est un peintre qui n'a pas le temps de se consacrer à son activité préférée. En attendant, il occupe ses (rares) moments libres sur Radio Nova et France Culture, ou aux soirées " Je suis un auteur de polar et y'a du cognac ". Et parfois, Jean-Bernard Pouy répare son évier, ce qui est fondamental. On le croira ou pas, mais il affirme avoir excellé en la matière, avant d'entreprendre de longues et studieuses (?) études, avant de bosser comme animateur en lycée, et avant même de se frotter à l'écriture.

Je n'ai jamais voulu écrire. J'ai commencé à 35 ans, on m'a forcé. Depuis je ne fais plus que ça. Malheureusement, ce qui m'intéresse, c'est plutôt la peinture, et je n'en fais plus beaucoup : je me suis fait totalement avoir. Si je continue à écrire, c'est que c'est un privilège de pouvoir vivre de sa plume, vulgairement parlant : pas de patron, pas d'heures de bureau, on me paie pour les conneries que je raconte. J'ai une totale liberté et je suis un privilégié absolu de ce côté-là. Alors je continue. D'année en année, ça s'accélère, j'ai des commandes partout, je sais pas dire non. Je fais des trucs pour moi, perso, je continue à écrire un roman par an. Mais y'a plein de journaux qui me demandent d'écrire, et comme en plus j'ai la réputation d'écrire très vite… Je ne suis pas considéré comme quelqu'un de pointu dans un champ, mais s'il manque trois ou quatre pages dans une revue ou un journal pour le lendemain, on sait très bien que je les fais, et sur n'importe quoi. C'est agréable, parce que je ne raconte rien, je me raconte moi, mais enfin, de temps en temps, c'est un peu pénible.

N'est-ce pas un juste retour ? Vous êtes plutôt prolixe…
Ah oui, j'ai écrit plus de 300 articles depuis 15 ans : des préfaces, des trucs sur des parfums, des voyages, pour déconner. C'est un peu n'importe quoi. Si je veux garder le domaine où j'ai le plus de plaisir, il faut que j'arrête tout.

Pourtant vous continuez à faire de la radio, de manière très soutenue…
Oui, parce que j'aime ça, la radio. Si je devais abandonner l'écriture pour autre chose (je ne parle pas de la peinture), je crois que je ferais de la radio. J'en ai toujours un peu fait. En 81, les radios libres apparaissent, et tout d'un coup y en a un paquet… Là, j'ai même participé à des petites radios pirates. J'en ai toujours un peu fait, un peu partout. Je travaille beaucoup à France Culture, pour les Papous dans la tête. Ça, c'est très régulier. A côté, j'ai toujours des contacts avec Nova, je fais toujours plein d'émissions. L'année dernière j'ai assuré une heure pendant trois mois. Jamel, " le célèbre Jamel " maintenant, avait un espace entre six et sept. A un moment donné il s'est barré, et pendant trois mois je l'ai remplacé. C'était une émission d'interviews, que je ne choisissais pas, où je me suis cogné à peu près tout et n'importe quoi : Jacques Attali, Poirot-Delpech, des écrivains albanais. En arrivant, souvent, je ne savais même pas qui allait venir. C'était simplement un faire-valoir, et comme le reste est assez déconnant, une heure ça passe très vite.

On ne peut pas déconner à France Culture ?
Pour ce genre d'émissions où il y a un invité, il faut vraiment préparer pour poser les questions qui le feront réagir sur un truc précis. Mais je me suis aperçu d'une chose, c'est que les gens qui viennent, même dans une radio techno-pop-musique-cubaine-effrénée, ils sont contents d'être là. Et puis il suffit d'appuyer sur le bouton, ils peuvent parler une heure, il faut plutôt les arrêter qu'autre chose. En fait, à part un ou deux intériorisés, les autres sont des bavards.

C'est le bazar qui convient à une radio de la " branchitude ", non ?
Ouais, mais Nova, c'est Actuel. Théoriquement, ils ne sont pas branchés, ils devancent. Ils devancent la branchitude, c'est un peu leur logo. C'est vrai qu'Actuel s'est imposé au moment de la contre-culture, et ils ont toujours été les premiers dans un truc. Nova c'est surtout de l'information, donc ça a un peu changé, mais les gens sont toujours les mêmes. Bizot est toujours prêt à déconner, à apporter des idées, et c'est vrai qu'à Nova, ils ont inventé les deux mecs de " La grosse boule " c'est à dire Weizman et Baer, et puis Jamel, tout ça. Ils inventent des animateurs qui se barrent après…

Là où il y a des tunes ?
Là où il y en a un peu plus. Mais personne ne travaille pour rien à Nova, c'est pas une radio libertaire.

Pourquoi dites-vous souvent que vous n'êtes pas écrivain ?
Je ne me considère pas comme écrivain, parce qu'écrivain, c'est davantage une fonction qu'un statut. L'auteur, c'est texte par texte : on est auteur d'un roman, d'un texte. C'est un truc qui se reproduit. J'aime pas endosser comme ça le personnage d'écrivain qui a des tics, qui a des mimiques. Y'a des mythes, y'a des milieux spécifiques à cette profession que je ne fréquente pas et auxquels je ne participe pas. Deuxièmement les écrivains se prennent la tête et ont l'impression, souvent, qu'ils sont extrêmement importants. Moi pas du tout. Troisièmement je traîne toujours avec les mêmes copains que depuis 25 ans. C'est pas parce que j'ai changé radicalement de boulot, après en avoir fait des tonnes et des tonnes, que j'ai changé quoi que ce soit dans mes passions et dans mes trucs. Les écrivains sont toujours très portés sur la musique classique, la musique sérieuse… Moi j'écoute toujours du vieux rock'n'roll pourri de base. C'est vrai que si on parle de Little Bob ou des Thugs à ce qu'on appelle un écrivain, neuf fois sur dix il va vous regarder comme si vous étiez un pauvre gars.

Et avec les Pixies…
Encore pire. Mais avec les Pixies on peut tomber sur un spécialiste. Parce que dans l'underground, parmi les intellectuels, il y a des gens qui se revendiquent de ça, de cette culture parallèle, et même en musique. Dernièrement, y'a Sonic Youth qui est passé à Paris, et là encore y'avait cette espèce d'underground qui suit depuis longtemps des groupes qu'on a dit progressifs à un moment donné.

Mais ça veut dire quelque chose, ça, l'underground ? D'aucuns y classent un journal très institutionnalisé comme les Inrockuptibles…
C'est pas aux Inrockuptibles qu'on peu trouver une quelconque notion d'underground. Les Inrocks, c'est un Télérama qui s'intéresserait un peu plus à la musique. Pour moi l'underground c'est cette espèce de contre-culture permanente qu'on voit toujours exister autour des fanzines, ou des mecs qui enregistrent des cassettes complètement incroyables dans leur cuisine et qui se foutent du reste : ceux qui se situent en dehors du système, et d'une manière générale tout ce qui bouge, notamment dans le monde des arts plastiques. Dans ce milieu, ils sont beaucoup, et certains sont obligés de faire des expos sauvages dans des squats. Bien sûr, il y a là des choses très convenues, très chiantes, mais des fois d'autres très intéressantes. Ceux-là on n'en entend jamais parler, ils n'ont pas de surface critique. Ils sont souvent entre eux, et pour beaucoup ils sont en avance sur une expression du

temps. De la même façon qu'il y a une économie parallèle, il y a une expression parallèle, dont certains sont des puristes d'ailleurs. Alors underground, ça a un côté souterrain, je dirais plutôt alternatif et parallèle. Ce sont des mots que je revendique toujours…

Et qui demandent une réflexion autre sur la création ?
Oui, c'est ça, et moi je suis un vieux soixante-huitard donc je ne peux pas renier cette culture-là quand même ! Elle se poursuit et j'y suis toujours très attaché. On l'a toujours défendue, même si cette image-là est systématiquement cartonnée par le mot baba qui pour nous n'a jamais voulu rien dire. C'est pas avec du fromage de chèvre qu'ils nous ont intéressés, même dans ces moments-là, c'est la contre-culture : celle qui a éclairé la guerre du Viêt-nam, celle qui est de mai 68, surtout dans le domaine de l'art, de l'expression, et du cinéma. Au cinéma d'ailleurs, c'est très bizarre, parce que c'est le seul vecteur où les artistes, les cinéastes qui ont vraiment fait partie de cette production parallèle ne se sont jamais ralliés (à peu d'exemples près) à l'autre cinéma. Ils sont toujours restés dans leur truc : chez eux entre copains, dans leur circuit. Même Jonas Mekas : il a fait un film avec son frère, un peu différemment, c'est resté complètement invisible. Par contre l'autre jour, dans Libé, il y avait une page sur Stan Brakhage qui était un grand de l'underground américain. Il est toujours resté dans son coin, mais maintenant on commence à le reconnaître, alors bon…

C'est pas frustrant de faire surtout de la commande ?
Non. Pour la nouvelle je ne marche que sur commande. Je ne les écrit pas naturellement. J'ai pas le temps, et de toute façon c'est pas ma longueur. Si je faisais du ciné, je ferais pas du court-métrage. C'est une chose particulière à chaque auteur. Demandez une nouvelle à Dantec, et c'est 500 pages systématiquement pour qu'il arrive à mettre tout ce qu'il a envie de dire, et pour que l'histoire qu'il a choisie soit épaulée par les éléments nécessaires. Ça prend de la place, de l'attention, donc y peut pas faire ça en nouvelle. Je ne le fais pas, parce que j'aime bien écrire des romans courts, mais on ne peut pas le faire en France. Aux USA ils font souvent des short novels, des romans de 80 pages. C'est une longueur qui me plairait bien. Mais ça, les éditeurs français le font très rarement.

Tout à l'heure vous parliez de votre rapport à l'écriture. Vous avez dit : " J'ai écrit par obligation. " Comment ?
C'était compliqué, je n'étais pas obligé, on m'a forcé. C'est surtout un hasard complet quand j'y pense. Il y avait une histoire que je racontais dans un lycée aux adolescents. Elle les faisait marrer et elle me faisait marrer, parce que je la gonflais d'année en année. Un beau jour je l'ai écrite : j'ai une mémoire défaillante, et je ne voulais pas oublier des passages. En fait, je me la suis racontée à moi-même, je ne me suis jamais dit " Tiens, je suis en train d'écrire un roman ! " . C'était un truc complètement normatif que j'ai rangé dans un tiroir. Deux ans après, un mec que je connaissais à l'époque, Patrick Bosconi, qui était très important pour le polar français (je m'en suis aperçu après : il est le créateur de Sanguine, qui est un peu l'âme damnée de ce qu'on appelle le néo-polar) me l'a piqué pour faire chier. C'était Spinoza encule Hegel, il n'était pas publiable sous cette forme : avec 70 pages, c'était un peu n'importe quoi. Bosconi l'a appuyé pour faire chier son éditeur, et sans me demander mon avis. Alors bon, on s'est un peu engueulés, et puis il m'a dit : " N'importe comment c'est des conneries, t'es pas capable de refaire un truc. " Et puis genre t'es pas cap… Comme je m'étais marré à faire le premier, j'en ai fait un plus long, et il l'a porté à la Série noire. Il a été pris contre toute attente. C'était la Rencontre de Jeanne d'Arc et de Rimbaud, donc je voyais pas ça dans la Série noire. Et voilà. Comme j'avais que du plaisir, aucun dépit, et comme je ne m'y attendais pas, bon ben j'ai continué. C'est comme ça qu'on commence, et qu'on se fait avoir très vite.

Que faisiez-vous dans les lycées ?
J'étais animateur culturel. Maintenant il n'y en a plus. Et les emplois-jeunes c'est différent, parce qu'à l'époque, il y avait 30 pions, plein d'employés. J'étais dans un gros lycée de banlieue, j'étais l'animateur statutaire des trois académies autour de Paris. C'est souvent des pions qui font ça. J'étais dans un lycée post-68, on avait tout : salle de cinéma, salle de théâtre… Il fallait quelqu'un pour s'occuper de tout ça. Ils m'ont nommé brutalement, et puis ils ont arrêté brutalement. En 80, avant Mitterrand, quand les lycées sont redevenus un lieu pour étudier et rien d'autre, ils ont tout supprimé. Tant mieux d'ailleurs, sinon, j'y serais toujours.

Comment vivez-vous votre situation, maintenant ?
Personnellement je suis heureux, je suis un privilégié. Mais d'une manière métaphysique on n'est pas heureux. Quand on voit ce qui se passe… Je crois que je serais plus heureux si je pouvais peindre toute la journée. C'est beaucoup plus mystérieux pour moi, je ne sais pas ce qui se passe, je ne peux pas maîtriser : c'est pas une question de travail. Je ne suis pas un peintre abstrait, tout ce que je fais est le fruit d'un travail mystérieux. On maîtrise la technique, le travail classique qu'il y a dans la forme, mais c'est tout. Dans le travail, je suis pas un conceptuel, j'ai pas donné dans l'abstraction lyrique, mais tout ce qui se passe, je ne le prévois pas. Sur un texte, maintenant, je sais à peu près quoi faire. Je ne présage pas de l'effet que ça fait, attention, mais si je veux provoquer quelque chose, je sais exactement comment m'y prendre, c'est ça qui est chiant.

Avez-vous prévu d'arrêter ?
Oh peut-être. Comme j'ai jamais voulu faire ça, je peux arrêter du jour au lendemain, ça ne me manquera pas. Mais il faut que je pense au social. Maintenant après 15 ans… j'aurais du mal à rentrer au bureau, ça non. Je pourrais aller vers la peinture, mais il faudrait que j'amasse de l'argent pendant cinq ou six ans…

Je vous croyais richissime et célèbre…
Célèbre, dans le polar oui, je suis connu, mais je suis pas richissime. Je vis bien, en ayant pas de patron et en écrivant des polars. Déjà, pour moi c'est un miracle incompréhensible. Même si je ne vis pas vraiment du polar, mais surtout des petits trucs à côté. Puisque tout le monde affiche son salaire, c'est pas un problème : je gagne 12 000 balles par mois.