Warning: mysql_num_rows(): supplied argument is not a valid MySQL result resource in /mnt/153/sda/7/9/oeil.electrique/magazine/php/en-tetes.php on line 170
L'Oeil électrique #8 | Métier / Clown

> C’EST BEAU LA VIE
+ Des animaux et des hommes

> SOCIÉTÉ
+ Martine Mauléon
+ Petit traité de manipulation
+ Marché +
+ Sexe: morales et sexualité

> BANDE DESSINÉE
+ Placid: ni oeil de verre, ni langue de bois

> VOYAGE
+ Inde

> PHOTO
+ Michael Ackerman

> MUSIQUE
+ Pascal Comelade

> MÉTIER
+ Clown

> GRAPHISME
+ Benoît Jacques

> 4 LIVRES : EROTIQUES FÉMININS
+ Françoise Rey : Loubards Lagnifiques
+ Josefine Mutzenbacher : Histoire d’une fille de Vienne racontée par elle-même
+ Anaïs Nin : Venus Erotica
+ Régine Deforges : L’orage

> BOUQUINERIE
+ Bernard Maris : Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles
+ Gérard Béhague : Musique du Brésil
+ Hervé Prudon et Muzo : J’ai trois ans et pas toi (mémoires sans mémoire)
+ Scott Mc Cloud : L’art invisible
+ François Chesnais : Tobin or not Tobin ? Une Taxe internationale sur le capital
+ Mattt Konture : Krokrodile Comix 2

> NOUVEAUX SONS
+ Oslo Telescopic : Third
+ Malcolm Braff Combo : Together
+ Koani Orkestar : Gypsy Mambo
+ Slick Sixty : Nibs And Nabs
+ Dick Annegarn : Adieu verdure
+ Guitar Wolf : Jet Generation

> JAMAIS TROP TARD
+ Pour le big band

> REVUES
+ Humoir
+ Etapes graphiques

> ACTION
+ Pour Voir Pas Vu

Par Tanitoc, Yves Cotinat.

Comment devient-on clown ?
Aux Etats-Unis, par exemple, il y a une école qui dépend du cirque Barnum. Pendant que j’étais aux Beaux-Arts, étudiant en peinture et sculpture, j’ai rencontré des Américains qui sortaient, justement, du cirque Barnum. Ça m’a complètement fasciné. Il y avait deux garçons et une fille. Ils savaient hyper bien jongler, ils savaient faire plein de trucs. Ç’a été une grosse rencontre. On est devenu très copains, au point de se dire qu’on allait faire un spectacle ensemble. Donc pendant que je finissais les Beaux-Arts, j’allais l’après-midi à l’école et le matin j’allais bosser avec eux. Ils m’apprenaient à jongler et on jetait les bases de ce qu’on allait faire ensemble plus tard. Mais je n’étais pas encore clown à ce moment-là. Après, j’ai passé mon diplôme, on est parti aux Etats-Unis, et c’est en mettant le spectacle au point que ça s’est orienté…

…que tu as découvert ton personnage, Wilson ?
Voilà, oui. Parce qu’il y a des gens, quelquefois… Sur scène, on voit par exemple des comédiens qui jouent le clown, mais ça ne marche pas, parce que c’est cousu de fil blanc. C’est un truc de sensibilité qu’on a ou qu’on n’a pas. Il y a un truc très à la mode qui vient de Etats-Unis, je crois : "Trouvez le clown qui sommeille en vous." Ils proposent des stages en entreprise. Je trouve que c’est complètement bidon ! Il m’arrive de faire des ateliers de clown avec des gens. Je leur dis franchement, au début, que tout le monde n’a pas une fibre clownesque. Je leur propose de travailler en cherchant le personnage qui leur est propre ; je ne veux pas mentir là-dessus. Ce sera peut-être un autre personnage. Il y a des gens qui, par exemple, arrivent très bien à incarner l’autorité. Dans la tradition du théâtre italien, ils ressembleraient au personnage de Pantalon plutôt qu’à celui d’Arlequin.

Comment son voisin de palier décrirait-il Wilson ?
C’est un type qui est plein de bonne volonté (Rires). Typique des personnages de clown : il veut tellement bien faire, tellement aider qu’il rate tout. Il a un petit boulot obscur. Toute sa vie, il a rêvé de monter sur les planches. Il se laisse convaincre par un magicien américain raté, Mr Bing (Tim Roberts, compère de leur troupe, l’Institut de jonglage), de placer ses économies pour monter un spectacle, et il en devient le principal actionnaire. L’autre lui dit : "Tu vas voir, ça va faire boule de neige, tu vas récupérer ta mise !" En échange, Wilson exige quelques petites apparitions sur scène. C’est comme ça que le bordel démarre.

Comment le personnage du clown est-il perçu de nos jours ?
C’est très confus à l’époque où on est. Il y a des modes qui reviennent. En ce moment c’est la mode du clown. Tout le monde en parle, personne ne sait ce que c’est. Il y a peu de gens qui bossent vraiment à fond là-dessus. Je trouve que c’est confus, car le cirque s’est approprié le clown. Moi, je refuse ça complètement. Je pense personnellement que les grands clowns de notre époque ne sont pas ceux du cirque, en général. Ce sont, par exemple, au début du siècle, les clowns du music-hall, et donc du cinéma, puisque ce sont ces touche-à-tout de génie qui l’ont inventé.

Comme Buster Keaton ?
Keaton, Chaplin, etc. Plus proche de nous, c’est vrai que chez Coluche, il y a de très fortes réminiscences clownesques. Quelquefois aussi chez Raymond Devos. Dans sa gestuelle…

Le clown peut-il fonctionner tout seul ?
Il y a des gens qui y arrivent, comme l’Américain Duffo (Howard Buten). Un clown marche d’autant plus facilement qu’il a trouvé un bon acolyte : un Clown Blanc. Pour moi, ç’a été un gros problème car il a fallu que je me réinvente des personnages fictifs. Une des clefs du truc c’est que le Clown Blanc amène "ce qu’on doit faire", la norme. Il est le reflet de l’autorité, donc de la société. L’autre est là pour pervertir cette norme. Pour moi c’est très nouveau, car j’ai commencé à bosser sur un spectacle en solo il y a trois ans. Je n’avais jamais fait ça, il a donc fallu que je découvre la mé-tho-do-lo-gie (Ton alcoolisé).

C’est-à-dire ?
C’est très long à cuisiner. Avant, avec les copains, on bossait beaucoup sur des improvisations. Parce qu’on était plusieurs, une situation était beaucoup plus facile à installer. Tim est un type qui avait l’autorité, faisant très bien M. Loyal… Il y avait le personnage de Mick qui s’appelait Mr Bonzini, inspiré des Matamores de la Commedia mais complètement revu, remis au goût du jour ; un personnage très fort, un peu inquiétant. Il y avait un personnage de fille aussi… Forcément, c’était un monde en miniature : il y avait une fille, donc l’Amour… Dès qu’on commençait à bosser (et ce que je continue à faire tout seul), comme c’est quelque chose de fuyant, on branchait un caméscope. On regardait après. Il y avait un dixième à garder, mais au moins on avait une trace : ça nous permettait de construire l’étape d’après. J’invite aussi des gens à venir voir le spectacle en l’état, pour tester leurs réactions. Répéter tout seul dans ton coin, ça ne marche pas.

Quelle logique suis-tu dans l’élaboration d’un spectacle ?
Il y a un côté très codifié dans tout ça. Je pense vraiment qu’un personnage de clown doit être situé socialement pour que ça fonctionne. Dans Cameraman de Keaton, c’est un type du bas de l’échelle. Ce qui va donner une dynamique à la chose. S’il avait déjà plein de pognon, s’il arrivait avec la meilleure caméra, s’il était beau… la fille, il la séduirait tout de suite. Le film durerait deux minutes ! Mais après c’est assez compliqué. Tous les problèmes auxquels je me suis heurté en écrivant mon solo viennent du fait qu’il y a une connotation symbolique très forte. c’est un personnage du bas de l’échelle qui va slalomer avec le pouvoir et symboliquement, à la fin, il faut qu’il s’en sorte… même si dans le spectacle suivant il se retrouve en bas. C’est Chaplin qui, à la fin des Temps modernes, s’en va avec la poulette : c’est lui qui s’en va main dans la main avec Paulette Godard. Keaton aussi avait très bien compris ça : ça se termine bien.

Cela tient-il aux attentes du public, à son imaginaire ?
C’est une espèce de farce sur les relations avec le pouvoir, entre maître et valet, avec quelque chose d’à la fois naïf et de très malin. Un petit sourire en coin ; parce que dans la vie, on sait très bien que souvent ça ne se passe pas comme ça. Je me suis souvent demandé pourquoi Jacques Tati, que certains admirent beaucoup (à juste titre : il a fait des choses formidables) n’avait pas plus accroché avec le grand public. je crois que c’est, en partie en tous cas, à cause de ce côté "trop lucide". A la fin des Vacances de Monsieur Hulot, il se retrouve tout seul. La jeune fille avec qui il y avait une sorte d’idylle (on se dit à un moment qu’elle est moins bornée que les autres, qu’elle a remarqué que ce type-là avait des trésors en lui), il

lui dit à peine au revoir. Ça y est, c’est la fin des vacances, la folie est finie, on rentre, on redevient une jeune fille de bonne famille bien sage. Et il se retrouve tout seul. Il n’y a que la vieille dame anglaise qui a remarqué qu’il était marrant ; mais la vieille dame anglaise, ça ne l’intéresse pas (Rires) !

Sur scène, quelle importance accordes-tu au langage par rapport à l’aspect visuel ?
Il y a une chose que le fait d’avoir été aux Beaux-Arts m’a aidé à comprendre, et qui est rarement prise en compte par beaucoup de gens qui font de la scène, c’est que tout est important. Dans une toile, tout doit être nécessaire et suffisant. Quand la chose est comprise et dite, ce n’est pas la peine de faire des redondances. En France, souvent, les comédiens ont suivi le cursus traditionnel, classique, où l’accent est mis sur "se mettre en avant" quand on parle. La parole, le texte. On leur apprend à parler. Ils pensent que c’est ça, le théâtre. Par contre, on voit à côté de ça des mises en scène complètement minables, des couleurs à chier debout, une gestuelle catastrophique. Ils n’ont pas compris que tout est signifiant. Un de mes profs des Beaux-Arts disait : "L’Art, c’est une machine à émotions." Que ce soit de la peinture, du théâtre ou de la bande dessinée. Donc, quand tu arrives, ton costume, ton maquillage, ta gestuelle, tes mimiques… tout doit concourir à l’émotion que tu veux provoquer à un moment donné. Je travaille comme ça.
Avoir été le seul francophone dans une troupe, c’est très bien car je me suis rendu compte que le langage n’était finalement qu’une clef. On a d’ailleurs toujours travaillé d’abord en gestuel : on faisait naître le langage quand il était nécessaire. Ce qui nous a permis d’aller bosser dans plein de pays. Ce que j’essaie de continuer c’est que le langage soit là quand il est absolument nécessaire, sinon c’est du bla-bla. J’essaie de retourner bosser à l’étranger car je me suis aperçu très vite en bossant avec les copains qu’ils pouvaient parler anglais dans des pays comme la Hollande ou l’Allemagne, où les gens comprennent cette langue : c’est une langue-outil. Par contre mon personnage, qui est un personnage populaire, ne pouvait pas se permettre de parler anglais.

Comment s’en sortait-il ?
J’étais obligé, par exemple, d’apprendre le néerlandais. J’ai réalisé en bossant dans les Flandres belges ou en Hollande que Wilson était obligé de parler la langue locale. Ça faisait un rapport très touchant avec les gens, même si je le parlais très mal… Comme c’est un tout petit pays, personne ne s’embête jamais à apprendre le néerlandais. Ce mec-là, qui était déjà en butte aux persécutions des autres… Il se vengeait bien ; parler le flamand créait une espèce de sympathie directe avec les gens très intéressante.

Etre clown, est-ce une vocation, une profession ?
Je crois que c’est les deux. Comme tous les métiers artistiques. Au début, quand tu es très jeune, il est certain que tu ne vois que le côté "paillettes" de la chose, le côté prestige… qui, à notre époque, est attaché aux métiers artistiques. Parce que ça n’a pas toujours été comme ça. Il y a eu des moments où on se faisait excommunier (Rires) ! Maintenant, dans toutes les bonnes familles (c’est même un peu gonflant) au lieu de la trilogie un-militaire-un-prêtre-un-je-ne-sais-quoi, il faut que quelqu’un soit dans un métier du spectacle, des arts. C’est trop. De toute façon, c’est pas possible qu’il y en ait autant (Rires)…

Les hauts et les bas ?
Le plus difficile pour quelqu’un qui décide de faire ce métier en franc-tireur, c’est d’arriver à se forcer à travailler. C’est vrai que tu peux ne pas travailler assez, et t’es fichu. Heureusement qu’il y a en France le statut d’intermittent du spectacle. Avoir à peu près toujours bossé suffisamment pour remplir le nombre d’heures suffisant pour conserver ce statut, c’est vrai, m’a beaucoup aidé. C’était très important.

Les peines et les joies ?
Tu tournes en rond, tu as l’impression d’être tout près des idées. Plus je travaille là-dessus, plus j’ai l’impression que la chose existe en dehors de moi. En fait, je n’invente pas, je suis en train de soulever des trucs. Il y a aussi cette solitude, par moments. Avec tous les doutes qui peuvent s’y attacher. La récompense, si tu ne rates pas ton coup, si tu as tapé dans le mille, c’est d’amener le rire au public. Je me souviens, il y a quelques années, à Versailles, d’un monsieur très âgé venu nous voir après le spectacle. Il en pleurait encore. Il me dit : "Il faut que je vous dise quelque chose. Ça faisait des années que je n’avais pas ri autant !". C’était très touchant.

Comment vends-tu ton spectacle ?
Il faut aller frapper aux portes. Ayant beaucoup tourné avec les potes avant, j’ai un réseau de gens. On avait également un agent. En attendant que mon spectacle soit complètement sur les rails, j’aime bien faire ça moi-même. Ça fait partie des derniers métiers où il y a un côté très artisanal, où il y a un plaisir intense aussi parce que tu fabriques tout : tu fabriques ton spectacle, tu inventes ton personnage, l’histoire ; je me suis inventé des comparses…

Tu fabriques tes accessoires…
Je ne pourrais pas supporter que ce soit quelqu’un d’autre ! Je crois que tous les gens qui bossent là-dedans sont comme ça. Il faut que tu le fasses à ta mesure pour pouvoir vraiment t’en emparer, jouer avec. Je vais certainement faire l’affiche. C’est moi qui prend contact directement avec les directeurs de salles et les organisateurs de festivals ; je sais qu’ils aiment bien ça. Pour ce que je fais, il faut des conditions très particulières, une salle... c’est vrai qu’il y a un côté sacré. C’est un moment, une heure de communication et d’échange avec un vrai public. A chaque époque tu retrouves une façon de transmettre au public certaines émotions. Quand tu regardes ce qui se passait dans l’antiquité, ce qu’on appelait à Rome les Atellane (Petites pièces de théâtre bouffonnes), c’était déjà le même genre de préoccupations. J’aime beaucoup l’explication des Grecs sur la création. Je crois que c’est Platon qui parle de ça. Si on connaissait vraiment le secret de l’univers, on deviendrait complètement fou : il y a quelque chose d’insupportable, de trop cruel. Mais on a besoin d’étincelles. Ils pensaient à l’époque que les dieux écartaient les nuées, laissant entrevoir une partie de cette vérité divine à certaines personnes qui avaient le pouvoir d’être des médiateurs, de retransmettre aux autres. Il y a quelque chose de très humble dans le fait que ce médiateur a peut-être le don de trouver comment redonner cette étincelle de vérité à ses contemporains. Au fond, ça te dépasse. Quand tu mets les doigts sur quelque chose de très beau, qui fonctionne vraiment avec les gens, qui les émeut profondément, tu te rends compte que c’est quelque chose qui ne t’appartient pas, qui te dépasse complètement.