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L'Oeil électrique #9 | Société / L’ABC de l’OMC

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Par Arno Guillou.
Illustrations : Morvandiau.

"Je définirais la "globalisation" comme la liberté pour un groupe d'investir où il veut, le temps qu'il veut, pour produire ce qu'il veut, en s'approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possibles en matière de droit du travail et de conventions sociales."

Le président du groupe industriel helvetico-suédois ABB en 1995

DRING !!! On sonne. A peine réveillé, les cheveux ébouriffés, vous allez ouvrir. Un monsieur, propre sur lui, vous demande si vous avez une minute à lui consacrer. Il entre. Une heure plus tard, il est parti. Vous venez de signer un contrat d'assurance dont vous n'avez même pas lu les clauses écrites en tout petit et encore moins compris les obligations et les conséquences.
Ça s'est passé le 1er janvier 1995. Sauf que ce n'était pas chez vous pour une assurance bidon. C'était, à l'échelle de la planète, la transformation du GATT (l'Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce) en OMC (Organisation Mondiale du Commerce) ratifiée par l'ensemble des pays à Marrakech en 1994. Depuis, l'OMC, en collaboration avec l'OCDE (Organisation pour la Coopération et le Développement Economique), tente de fourguer au monde des traités de libre échange faisant la part belle aux multinationales et passant par-dessus les frontières et les lois. Le plus fameux, l'AMI (Accord Multilatéral sur l'Investissement), a connu, en 1998, un fiasco suffisamment médiatisé pour mettre en lumière le fonctionnement peu démocratique de ces institutions supranationales. A l'origine de ce joyeux raté, un groupe de personnes déterminées, réunies pour la France depuis trois ans au sein de l'Observatoire de la Mondialisation. Composé de chercheurs, d'économistes, de journalistes et de militants, ce regroupement d'associations décrypte les textes des traités et en révèle la teneur au plus large public possible afin d'y faire barrage dans un mouvement de masse. Sa fondatrice et vice-présidente, Agnès Bertrand, revient avec nous sur l'origine de son action, sur le succès face à l'AMI et sur les sauces auxquelles on aimerait nous faire avaler de nouvelles arêtes.

Où trouvez-vous les informations sur l'AMI et sur tous ces traités ?
Pour l'AMI, ça a été spécialement difficile parce qu'il était tenu confidentiel. C'était des négociations totalement à huis clos et les documents confidentiels sont faits pour ne pas circuler. On savait qu'ils avaient essayé de faire passer cet accord sur l'investissement au moment de la création de l'OMC mais ça avait échoué parce que les pays du tiers monde s'y étaient opposés. Nous savions donc que c'était en préparation à l'OCDE et le premier du grand réseau qui l'a trouvé l'a rendu public en le mettant sur Internet. D'une manière générale, il y a des documents qu'on peut se procurer, seulement, là où ils restent très hermétiques, c'est qu'ils sont volontairement écrits dans un style abscons, très très rebutant, des documents qui font des centaines de pages... C'est une des façons qu'a trouvé l'Organisation Mondiale du Commerce, pour échapper à l'examen.

Est-ce que vous pouvez expliquer ce que sont l'OCDE et l'OMC ?
L'OCDE, c'est l'Organisation pour la Coopération et le Développement Economique dont le siège est à Paris. Elle réunit les 35 pays les plus riches. En fait, elle n'a pas pour vocation de faire des traités : c'est un organisme d'étude. Donc, le fait que l'OCDE était en train de préparer un traité à vocation internationale était déjà une grande anomalie. Quant à L'OMC, l'Organisation Mondiale du Commerce, elle est entrée en vigueur le 1er janvier 1995 pour succéder au GATT, l'Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce, qui, depuis sa création en 1947, avait pour vocation d'abaisser les barrières douanières entre les pays. Le GATT, au début, avait des prérogatives limitées. Il y a eu des rounds successifs de négociations et, avec le 8ème round, tout a changé : le GATT a mis la main sur des nouveaux secteurs très importants : l'agriculture, la propriété intellectuelle (dans laquelle on a pu inscrire les brevets sur le vivant), les services et l'investissement. Pour l'investissement, le coup a raté puisque les pays du tiers monde ont compris que c'était inadmissible et s'y sont opposés. C'est comme ça que, ce qu'on n'a pas pu signer dans le 8ème round, on l'a renvoyé à l'OCDE.

L'OMC est donc une suite plus virulente du GATT ?
Voilà. A la signature du 8ème round du GATT, on a transformé le GATT en Organisation Mondiale du Commerce, organisation permanente avec des pouvoirs renforcés. Donc ça a contourné les autres agences de l'ONU, c'est passé au-dessus d'elles.

J'ai lu que le traité de l'AMI, et donc ceux de ses clones, se font à l'OCDE parce que l'OMC est plus sous les projecteurs médiatiques par le fait qu'il est en Suisse près de l'ONU...
Oui, mais c'est surtout qu'à l'OMC, les pays du sud sont quand même représentés. En réalité, ils n'ont guère voix au chapitre. C'est surtout ceux qu'on appelle la quad', ou quadrilatérale, c'est-à-dire le Canada, les Etats-Unis, le Japon et l'Europe qui sont les ducs qui décident du contenu, parce que c'est un énorme jeu de rapports de forces. Mais le fait est que, quand on négocie à l'OMC, les pays du tiers monde sont au courant. Tandis qu'à l'OCDE, ça se passe entre pays riches. L'idée, c'était de boucler le contenu en catimini et d'imposer ensuite aux autres pays du monde. C'est pour ça que l'OCDE avait été choisie.

Qu'est-ce que l'AMI exactement et pourquoi a-t-il été abandonné ?
L'Accord Multilatéral sur l'Investissement. Il a été abandonné sous la pression des mouvements populaires, des mouvements d'opinion, de coordinations de syndicats et d'associations qui ont réussi à s'emparer du contenu et ont décortiqué le fait que les clauses étaient inacceptables parce qu'elles donnaient tous les droits aux investisseurs et tous les devoirs aux états. C'est-à-dire qu'un investisseur qui s'estimait lésé pouvait carrément poursuivre les législations nationales qui faisaient obstacle à son entrée dans tel ou tel secteur et demander des compensations financières. Il n'y avait absolument plus une clause de sauvegarde : le droit du travail était menacé, ainsi que les différentes législations nationales qui protègent encore, un tant soit peu, les industries locales, l'agriculture locale... Tout ça aurait été passé à la moulinette. L'alerte a été suffisante pour réunir des coalitions dans de nombreux pays. C'est la Coordination Contre les Clones de l'AMI (CCCA) qui est parvenue à ce que le gouvernement français s'en retire et que Lionel Jospin annonce, d'abord la suspension, puis le retrait des négociations. Le fait est que ce sont les ministres qui se réunissent, même si ce sont des technocrates qui préparent les dossiers... Au Canada, comme en France, ils avaient aussi leur opinion publique sur le dos.

ça veut donc dire que le citoyen a quand même du pouvoir...
Exactement, ça a été la grande leçon et le grand espoir qu'a donné cette victoire sur l'AMI. Il n'y avait rien d'inéluctable là-dedans. Même si les firmes transnationales et les banques d'investissement souhaitaient ce traité et avaient tout fait pour l'obtenir, on a réussi, à le débusquer d'abord, à l'expliquer, et ensuite à faire campagne.

L'AMI, comme d'autres traités, a donc été négocié dans l'ombre. Entre qui et qui ?
Officiellement, ce sont les ministres de l'économie et des finances des pays membres qui négocient. En fait, les ministres se voient rarement et sont réunis dans des fonctions cérémoniales avec des grands banquets. Donc, ce sont les technocrates les négociateurs, pour la France, c'est quelqu'un de la Direction du Trésor, et c'est un peu l'équivalent dans tous les pays. Eux-mêmes prennent conseil auprès de gens qui sont partie prenante, qui ont des intérêts là-dedans : les grandes banques d'investissement, les grandes sociétés commerciales qui font des papiers préparatoires pour dire ce qu'il serait souhaitable de trouver dans cet accord. Quelquefois, ils entrent dans beaucoup de détails, ils veulent telle clause, que tel obstacle à l'investissement saute, etc. Pour l'OMC, c'est la même chose : il y a ce qu'on appelle des comités de conseil en négociation commerciale qui réunissent immanquablement, quel que soit le pays, les très grosses firmes. Evidemment les PME ne sont pas représentées, les agriculteurs ne sont pas représentés... pour la France, ce sera Vivendi, Elf, etc.

On comprend l'intérêt des industriels dans ce fonctionnement, mais celui des technocrates ?
Malheureusement, ce qu'on peut dire, c'est que, dans notre époque de libre-échange, les firmes transnationales ont réussi à ce que leur idéologie passe auprès de la quasi totalité des ministères de l'économie et des finances. Alors évidemment, aux Affaires Sociales, on aura des gens peut-être différents, mais vous prenez monsieur Strauss-Kahn et ses homologues, leur évangile c'est quand même que le commerce international est bon pour la croissance et donc pour la société. Ils ont complètement adopté ces vues et ils traduisent littéralement les opinions et les désirs de la grande industrie. Quant au niveau de la Commission européenne, les technocrates anticipent les désirs des grosses sociétés : "Voilà, nous sommes là pour ouvrir les marchés, dites-nous ce qu'il faut faire."

Peut-on tout simplement penser que ce soit par rapport à des intérêts personnels ?
Bien sûr, il peut y en avoir. Ça, on a du mal à l'écrire parce qu'il faut le prouver, mais c'est évident qu'il doit y avoir des espèces de récompenses pour services rendus. Ils sont immanquablement du même bord et on peut dire que généralement un négociateur, qu'il soit américain, français, européen... en fin de carrière, se retrouve au sein de conseils d'administration de grosses sociétés. C'est le fameux ballet d'aller et retour entre le public et le privé. On peut dire qu'ils sont en train de privatiser les Fonctions publiques et de les usurper.

Les technocrates sont ceux qui restent en place quel que soit le gouvernement ?
Exactement.

Quand ils sont au courant, quel rôle jouent là-dedans les gouvernements ?
Quand ils sont au courant... Ça, c'est la grande question ! En réalité, les parlementaires ne sont pas au courant parce que, pour ne pas nuire à la négociation, on est forcé de conserver une certaine confidentialité. Donc, on ne leur livre les textes qu'une fois qu'ils sont prêts, aboutis. Et quand ils sont aboutis, c'est pratiquement trop tard. Une des demandes du mouvement, c'est que les sujets de négociation mis sur la table à l'OMC soient transmis, six mois avant le début des négociations, afin que les Parlements soient au courant pour pouvoir en débattre.

Quand espérez-vous un résultat par rapport à cette demande ?
C'est une question de rapports de forces... Pour l'instant, ils n'ont même pas daigné répondre, dans aucun pays d'ailleurs, parce qu'ils ont toujours négocié en secret. Maintenant, ils sont assez traumatisés : on peut lire dans leur littérature qu'il faut à tout prix "éviter de répéter le fiasco de l'AMI." Ils se sont pris comme une très très grande gifle le fait d'avoir été débusqués. Le directeur général de l'OCDE, Donald Johnson, disait au début :  "un accord qui a souffert de trop de publicité." Nous, on disait que c'était un accord qui ne pouvait pas supporter la lumière. On avait décidé d'employer "la stratégie Dracula". Dracula, ça se passe très mal pour lui quand il y a des projecteurs. Dès qu'on dévoile les enjeux de l'AMI sur la place publique, le fait que ce soit inacceptable, comme l'a prouvé le verdict sur la viande aux hormones, on ne se trouve pas un petit nombre à s'opposer à ça, ça devient carrément une opinion majoritaire.

Comment s'appelle le nouveau clone de l'AMI ?
L'Accord sur l'Investissement Multilatéral (Rires). Vous voyez, ils changent simplement la place des mots. En réalité, on ne peut pas jurer qu'ils vont le mettre sur la table dès la prochaine réunion ministérielle à Seattle, sachant qu'ils vont être sous surveillance de très nombreux mouvements dans le monde. Il est possible qu'ils l'éclatent en plusieurs parties et qu'on trouve des parties de l'AMI dans l'accord sur les marchés publics, dans l'accord général sur le commerce des services, etc.

Ca serait une façon de le faire passer plus facilement ?
Voilà, de le faire passer en transversale et éclaté.

En France, est-ce que les partis politiques ont ouvertement pris position ?
Oui, bien sûr, les Verts et le Parti Communiste se sont dits ouvertement contre. Au PS, on ne se prononce pas, à part quelques personnes, Jack Lang notamment. Vous avez aussi peut-être vu un article de Jacques Attali dans Le Monde cet été, intitulé "Pour en finir avec l'OMC" ?

Non, mais ça m'étonne de la part de Jacques Attali...
(Rires) Nous aussi, ça nous a tous étonnés, mais le fait est que c'était un article très virulent. Il n'y a pas besoin d'être de gauche, et certainement pas d'extrême gauche, pour refuser de tels traités. C'est simplement au nom de la démocratie qu'ils sont inacceptables.

Et y a-t-il des partis qui sont ouvertement pour ?
Oui, bien sûr, la droite est pour en général.

Quelle est la signification exacte du terme "investissement" dans le cadre de l'AMI ? Elle semble être différente du sens courant.

Oui, l'investissement, on pourrait croire que c'est positif : c'est de placer de l'argent qui peut servir à développer des activités, éventuellement créer des emplois... Mais quand on voit les flux d'investissements dans le monde aujourd'hui, on a même des référents pour l'année 95 où plus de 60% des investissements directs à l'étranger n'ont servi qu'à des rachats et des fusions d'entreprises. Il ne s'agit pas de création, il s'agit d'accaparement des richesses. Donc, par exemple, si la Sorbonne est rachetée par une grande multinationale américaine de l'enseignement, pour les Américains, c'est de l'investissement, pour les Français, c'est clair que c'est une perte énorme.

Ça signifie que le politique disparaîtra au profit du financier ?
Oui, parce qu'une fois qu'on a dit :  "on négocie sur les marchés publics, on négocie sur les services", on perd tout contrôle, comme ça s'est passé dans le 8ème round du GATT et dans l'OMC. Or l'OMC veut mettre la main sur de nouveaux secteurs, à travers des clauses très tordues visant à interdire les législations nationales qui font obstacle aux firmes transnationales. Par exemple, la clause du traitement national : vous n'avez pas le droit de traiter mieux une PME locale que Disney, par exemple. Il y a aussi la clause de la nation la plus favorisée : vous avez octroyé, à Disney précisément, comme ça a été le cas pour Disneyland, certaines faveurs du genre exonérations des charges sociales et mise à sa disposition d'une bretelle d'autoroute gratuite au pauvre Disney... Alors, ces faveurs, si un autre investisseur étranger, qui ne sera évidemment pas une PME, vient pour ce marché, vous êtes dans l'obligation de les lui octroyer aussi. Il s'agit de subventions cachées supportées par les citoyens.

Et si la France accorde des faveurs à une entreprise du tiers monde, une entreprise américaine pourra exiger les mêmes faveurs ?
Exactement.

En discutant avec des gens qui n'ont jamais entendu parler de ce traité, les réactions sont : "C'est pas possible, ça ne passera jamais quelque chose comme ça !" Est-ce qu'il existe déjà un traité de ce type dans le monde ?
Oui. Malheureusement l'OMC existe. C'est la grande difficulté. Le 8ème round instituant l'OMC a été signé en avril 94 à Marrackech, puis ça a été la course à la ratification dans les Parlements : ça passait dans des sessions d'urgence, la nuit, devant des parlementaires qui n'avaient pas lu les textes de plus de 550 pages. On les leur a donnés quelques jours avant, donc pression intense pour dire "Ça va être bon pour le rôle de la France, le commerce de la France..." Pareil dans les autres pays et, c'est ça le précédent : c'est que l'OMC existe et que ses clauses passent par-dessus toutes les législations nationales puisque ça a été ratifié. Seulement, les parlementaires ne savaient pas ce qu'ils ratifiaient. Ils ne savaient pas en particulier qu'il y avait l'article 37c des accords sur la propriété intellectuelle qui stipule qu'on peut breveter la vie et qu'il faut respecter les droits de propriété intellectuelle sur le vivant. C'est-à-dire les brevets détenus par les transnationales, sur le maïs, le soja ou toute autre variété végétale et animale génétiquement manipulée.

Susan George, la présidente de l'Observatoire de la mondialisation, parlait d'un traité transaméricain entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique comme d'un précédent...
Oui, ça c'est l'ALENA, l'Accord de Libre Echange Nord-Américain qui unit ces trois pays. C'est vrai que ça va très loin.

C'est-à-dire ?
Prenons le cas d'Ethyl Corporation. Cette firme américaine commercialise un additif qu'elle mettait dans le carburant, le MNT, qui est un neurotoxique, et qui, en plus, endommage les filtres des voitures. Des études scientifiques ont prouvé la nocivité de ce produit et il y a une loi, passée au Parlement canadien pour l'interdire. Ce qui s'est passé à ce moment-là, en vertu d'une des clauses de l'ALENA, c'est que Ethyl Corporation a attaqué la loi canadienne et demandé des dommages et intérêts qu'elle a obtenus. Conclusion : obligation pour le Canada de vendre à nouveau ce carburant. Aujourd'hui le Canada et les Etats-Unis attaquent la France pour l'interdiction de l'amiante. Le Canada est un très gros producteur d'amiante, le deuxième mondial, et, bien que l'amiante soit reconnue comme étant cancérigène, la plainte a été portée devant l'OMC. C'est toujours pas tranché mais ça va jusque là. C'est le droit du commerce au-dessus de tous les autres droits.

Mais puisque le traité n'est pas en place, on ne risque rien...
Mais l'ALENA existe. Donc ce genre de litige, comme Ethyl Corporation, a déjà été tranché. Et ils ont eu gain de cause. La seule bonne chose, c'est que ça a créé l'indignation dans la population canadienne. Quant à l'OMC et les futurs secteurs, il y en a qui ne sont pas encore empochés, le but c'est, à la réunion ministérielle, de les démarrer. Ils se donnent trois ans pour aboutir et, en trois ans, on estime qu'on peut faire éclater ça sur la place publique, qu'on peut empêcher cette signature. On veut utiliser ce round du millénaire qu'ils veulent lancer pour dénoncer ce qu'il y a déjà d'inique dans les accords signés et obtenir la révision des accords existants dans un sens un peu plus démocratique.

Cette firme américaine avait également demandé de l'argent au Canada pour compenser les bénéfices qu'elle avait prévu, alors même qu'elle n'était pas implantée au Canada !
Et la même clause était dans l'AMI, et ils veulent la remettre dans le round du millénaire. C'est-à-dire qu'une firme peut porter plainte sur les profits escomptés qu'une législation nationale l'empêcherait de faire.

Au niveau de la France, il y a eu, il y a quelque temps, l'exception culturelle. De quoi s'agit-il ?
L'exception culturelle a été obtenue par la France, dans le cadre du 8ème round du GATT en 94, pour protéger le cinéma français. Ça veut dire que les quotas qu'on avait, on a le droit de les maintenir. L'exception culturelle est cependant très fragile parce que ce secteur entre par deux biais dans les accords qui vont être renégociés. En ce qui concerne cinéma, livre, radio, télécommunications, etc. ça fait partie des industries de service qui sont promises à une libéralisation supplémentaire. Ensuite c'est l'histoire de la propriété intellectuelle. L'idée des Américains c'est de calquer le droit d'auteur sur le copyright. Or le copyright donne tous les droits au diffuseur et très peu à l'auteur. Par exemple, vous êtes l'auteur d'un scénario et une boîte vous l'achète, on en fait un film, une autre boîte peut venir derrière, totalement transformer le message, l'auteur n'a pas le droit de dénoncer et d'arrêter un projet qui dénaturerait son œuvre. Elle appartient au distributeur. Avec le copyright, vous renoncez aux droits moraux et financiers.

La France semble relativement active face à ces traités. Peut-elle exister seule contre un ensemble d'autres pays qui signeraient de tels traités ?
D'abord, la France ne serait pas seule. Au Canada, il y a une forte opposition et les pays du tiers monde veulent de moins en moins ces accords. Mais la France, hormis l'exception culturelle, n'a pas joué un rôle très brillant. L'opinion publique s'est bougée, les agriculteurs se sont bougés mais, au niveau gouvernemental... Sous le gouvernement Balladur, quand ça s'est signé, le gouvernement a pesé de tout son poids pour faire ratifier l'OMC par le Parlement et pour juguler le débat. Qu'est-ce que ça va être avec le gouvernement actuel ? Malheureusement, on ne peut pas trop faire confiance à monsieur Strauss-Kahn et, le pire, c'est que ce n'est pas la France qui négocie, c'est l'Union européenne : il y a le traité de Maastricht, on s'est dessaisi d'une partie de la souveraineté puisque l'Union européenne a le droit de signer des traités de commerce.

Donc finalement, le fait d'être dans l'Union européenne n'est pas une force pour lutter contre ces traités ?
On nous a dit : "Il faut faire l'Europe pour résister aux Américains dans les négociations du GATT". C'était un mensonge. Le fait de faire cette Europe permettait la signature du GATT qui ne serait sans doute pas passée sans Maastricht.

Au niveau de l'agriculture, comment ça va se passer ? Quel est le rapport avec les manifestations de la Confédération Paysanne ?
Le rapport, c'est la résistance aux diktats de l'OMC. Par exemple, la résistance à la plainte américaine contre l'interdiction européenne de viande aux hormones... Dans toute l'Europe, c'est interdit d'injecter des hormones à des animaux pour les faire grossir davantage. Il y a une interrogation, c'est le moins qu'on puisse dire, sur les effets sanitaires.

C'est la différence entre le principe de précaution en France, et le principe américain, qui considère un aliment sain tant qu'il n'est pas avéré dangereux ?
Oui, tout à fait. Pour l'OMC, le principe de précaution est carrément interdit. Les Américains nous ont attaqués parce qu'ils trouvent que c'est un manque à gagner, le fait que les Européens ne mangent pas de la viande aux hormones. Il y a eu plusieurs sessions et finalement l'Europe a été jugée coupable d'obstacle au commerce et doit compenser les Américains. C'est là-dessus que la Confédération Paysanne a décidé, en partie symboliquement d'ailleurs, de s'en prendre à Mac Donald pour dire non à l'OMC : "Nous avons le droit à une agriculture propre, à un élevage correct pour les consommateurs, nous ne voulons pas de la mal-bouffe, etc." C'est ça le rapport, mais c'est parce qu'ils savent aussi que les futures négociations sur l'agriculture vont donner aux très gros exportateurs américains la capacité de casser encore plus les agriculteurs français.

Le combat des citoyens contre l'AMI a donc été gagné. Que se passe-t-il maintenant par rapport aux autres tentatives de traités ?
Ça y est, le combat est commencé, il est déjà mondial ! Qui a lancé le combat contre l'AMI ? C'était les gens qui s'étaient opposés à la création de l'OMC. Nous n'étions pas assez nombreux à l'époque, nous avions interpellé les députés, nous avions écrit aux ministres pour dire "Attention, inacceptable! On va breveter la vie, on va imposer les OGM, on va avoir un tribunal qui tranchera en faveur des transnationales..." On n'a pas été écoutés. Maintenant, l'Histoire nous a donné raison : la viande aux hormones, Ethyl Corporation... Au moment où on a lancé l'appel contre l'AMI, il y avait un début de compréhension par un nombre croissant de politiques qu'effectivement on était allé un peu loin, qu'on avait abandonné une grande partie de souveraineté nationale au bénéfice de grandes firmes que plus personne ne contrôlait. On a réussi la pression et, parce que les gens ont compris ce qu'il y avait dans l'AMI, et ont vu qu'on pouvait gagner, ça donne d'autant plus de détermination pour repartir contre l'OMC.

Pour vous tenir au courant et diffuser les informations :
l'Observatoire de la Mondialisation
44, rue Montcalm - 75018 Paris
fax : 01 42 58 82 21

Brochure sur commande (5 francs + port) : L'AMI cloné à l'Organisation Mondiale du Commerce, à l'adresse de l'Observatoire.

Egalement disponible Lumière sur l'AMI, le test de Dracula, par un collectif de l'Observatoire de la Mondialisation, aux éditions L'esprit frappeur, 10 francs