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L'Oeil électrique #9 | Jamais trop tard / 4 bandes dessinées en noir et blanc rééditées

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JAMAIS TROP TARD / 4 BANDES DESSINÉES EN NOIR ET BLANC RÉÉDITÉES

Par Morvandiau.

Breccia et Oesterheld, Mort Cinder (Les yeux de plomb) - 1962 (réédition Vertige Graphic 1999)
A l'origine publiées dans la revue argentine Misterix, les aventures de Mort Cinder ont une capacité troublante à vous faire oublier la réalité alentour. L'univers créé par Hector Oesterheld et Alberto Breccia, deux monstres de la bande dessinée méconnus du public européen, pourrait faire songer à un livre coécrit par Lovecraft et Borgès. Explorant le thème du Temps, ils mettent en scène des personnages, humains jusqu'à la contradiction, confrontés à des situations fantastiques et parfois effrayantes. Ezra Winston est antiquaire. Il s'intéresse à l'Histoire, aux civilisations anciennes et aux connaissances troubles qu'elles ont emporté avec elles. Des antiquités égyptiennes et une mystérieuse amulette mettent sur son chemin trois hommes aux "yeux de plomb", aussi inquiétants que prestes à dégainer leurs couteaux. C'est également par ce biais, au milieu des brumes d'un cimetière, qu'il fait la connaissance de Mort Cinder, "le criminel pendu la semaine précédente"…
Le rythme est haletant, l'ambiance oppressante, comme un cauchemar entêtant qui revient toutes les nuits. Fermement soutenu par le scénario et les mots d'Hector Oesterheld, rebondissant des dialogues enaux textes off, Alberto Breccia peut se laisser aller à des expérimentations graphiques (mélangeant encre et solvants, utilisant diverses trames de tissus, etc.). Eclairages et compositions expressionnistes nous font craindre de ne plus nous réveiller tout en souhaitant que l'album ne se finisse pas trop vite.

Crumb, Fritz the cat - 1969 (volume 1, réédition Anthracite 1995)
Rendu célèbre par son adaptation en dessin animé, que Robert Crumb ne reconnut pas et qui l'amena à le tuer en 1972, Fritz the cat est l'un des personnages à plusieurs casquettes de l'univers foutraque de cet Américain qui préfère vivre en France. Ce volume 1 (qui creuse l'appétit quand on songe à la suite), regroupe trois histoires dessinées entre 1964 et 1965. Dans une introduction datée de 1978, Crumb explique qu'il fait de la bande dessinée pour "éviter d'avoir affà faired'avoir affaire aux gens." L'univers personnel et délirant des histoires s'en ressent probablement : l'auteur semble livrer son petit spectacle intérieur du moment. On a le sentiment de péripéties, improvisées autour d'un thème et d'un personnage, jetées en marge de cahiers. Ce qui, pour Blake et Mortimer, serait une catastrophe, constitue là une véritable force : l'imagination fertile et l'humour, non moins prolixe, de Robert Crumb sont justement complétés par un sens du dessin et du graphisme spontané et frais. Fritz est donc, tour à tour, de retour au foyer où sa mère et sa sœur l'attendent, un étudiant glandeur qui rêve de tout plaquer pour les femmes et la liberté et, enfin, luttant contre l'impitoyable racaille communiste, un agent spécial de la CIA !
(Détail de pinailleur critique, le lettrage maladroit de la traduction française fait tâche au milieu de ce bel ouvrage.)

Got et Pétillon, Le Baron noir - 1976 (réédition Glénat 1999)
Si, comme dans Fritz the cat, les personnages du Baron Noir sont des animaux, le propos est tout autre. Strip quotidien paraissant trois années durant dans le Matin de Paris, cette satire politique n'a rien perdu de son mordant et vole, 23 ans après, plusieurs coups d'ailes au-dessus des Guignols qui paraissent, en comparaison, bien potaches. Scénarisé par Pétillon, père de Jack Palmer et actuel dessinateur au Canard Enchaîné, dessiné par Got, le Baron Noir, aigle féroce, est Le prédateur pour l'ensemble des moutons qui gémissent de concert. L'intelligence de la série repose sur le fait que l'attribution de rôles et de caractères humains aux différents animaux n'est, à aucun moment, lourdingue mais fonctionne par métaphores et ellipses subtiles. Les protagonistes vivent, survivent ou vivotent : il est question de pouvoir, de manipulation, d'instinct grégaire, de responsables et de sauvageons. Allié à l'humour rageur de Pétillon, Got les anime d'un trait noir et gras, rythmant les cases de blanc ou d'aplats. Peut-être étiez-vous, à l'époque de sa parution, distrait, non-parisien ou, comme moi, plus soucieux de vos couches que de vos journaux. Ne vous arrêtez pas à la couverture assez laide, (re)prenez donc une lampée de cet alcool fort mais sain.

Munoz et Sampayo, Le poète - 1991/1992 (réédition Amok 1999)
Quand ils n'écrivent pas des prologues admiratifs dans les rééditions d'Oesterheld et Breccia, Munoz et Sampayo s'intéressent, eux aussi, à la politique. Eux aussi utilisent la métaphore et la fiction. Comment faire autrement, leur héros est un poète ? C'est même Le poète, récompensé par l'Etat pour son œuvre et son rayonnement par "un salaire à vie, équivalent à celui d'un fonctionnaire de première catégorie". Mais l'Etat est exigeant, sa création doit maintenant justifier la paye de l'artiste et l'utilisation qu'il en fait. Le poète est, malheureusement, aussi incorrect que (visiblement) insouciant. Son impertinence le suit d'ailleurs jusque dans le train du deuxième épisode, où son voisin de compartiment, chantre de la privatisation et du marketing, pollue son voyage et ses rêveries sur l'Eau. Ces deux récits, prépubliés dans feu le magazine (A Suivre), se lisent d'une traite et sans répit : comme à l'accoutumée, les éditions Amok mettent le paquet pour associer un contenu et une forme aussi rigoureux que plaisants. Etrangers aux brûlots anarchistes et aux manuels de guérilla urbaine, Munoz et Sampayo optent pour la subversion débonnaire mais réelle que diffuse leur personnage, estocade poétique au libéralisme ambiant.