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L'Oeil électrique #13 |

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4livres

Alexandre Soljenitsyne : Une journée d'Ivan Dénissovitch
1975, Julliard (Pocket)
Traduit du russe par .

La nuit. La neige. Le froid. Emmitouflés dans leurs hardes matriculées, traînant des pieds douloureux et gelés dans leurs bottes dérisoires, les zeks (prisonniers) entament la journée de labeur dans le goulag, sous les gueulements des surveillants, l'esprit obsédé par la perspective du maigre repas : quelques minutes qui tiendront lieu de paradis. A l'affût du moindre quignon supplémentaire, prêts à mendier le plus repoussant mégot, désertés progressivement par la dignité, les zeks survivent, dans ce jour absurde que rythment les abrutissantes étapes de l'existence concentrationnaire, entre éclairs de solidarité et défiances haineuses.
La réalité du goulag, brutale à tous les niveaux, se lit dans l'écriture même de Soljenitsyne, qui mime le parler rugueux et fruste, sans l'ombre d'un pathos, du paysan Choukhov, le personnage principal. Difficile de ne pas établir un parallèle entre cet univers et celui des Camps de concentration nazis : même entreprise de déshumanisation, où l'individu est réduit à ses expressions les plus animales - manger, dormir, avoir chaud, sauver sa peau - oublieux du reste du monde et de ceux qui en font partie.
Destin exceptionnel que celui de ce roman ! Contournant le comité de censure et soumis directement à l'entourage de Khroutchev, l'œuvre, publiée en 1962, avec tout de même quelques coupures et modifications (indiquées dans cette édition), bénéficia de la distance affichée par le président à l'égard de l'héritage stalinien. Le plus miraculeux dans l'histoire du bouquin est que, passé cet accès de libéralité, Khroutchev, peut-être pris de remords, se durcit face aux autres innovations artistiques. Lui succéda en 1964 le très stalinien Brejnev… Dès lors, tous les livres de Soljenitsyne, du Premier Cercle à l'Archipel du Goulag, furent interdits en URSS.
Sans doute ne peut-on ignorer les errances politiques actuelles de cet écrivain ; il n'empêche que ses œuvres ont contribué à dénoncer l'ampleur du drame soviétique, et permis aux rescapés du Goulag, privés de parole, de réaliser là leur catharsis. Appartenant à ces artistes que ni la censure, ni l'internement - il passa 8 ans au bagne pour avoir critiqué Staline, fut déchu de sa citoyenneté et expulsé d'Union soviétique - n'ont réussi à faire taire, Soljenitsyne reste le symbole d'une résistance de l'écrivain à toute forme de totalitarisme et de barbarie.

EXTRAIT

"Qui reçoit des colis doit donner et donner et donner : le surveillant c'est seulement un début. La fouille terminée, ne comptez pas non plus avoir la caisse : fourrez vos cadeaux dans une musette, au besoin dans un pan de caban, et trissez-vous, au suivant ! Il y en a qu'on presse tellement qu'ils en oublient de la marchandise au guichet. Inutile de repasser : c'est envolé.
Du temps d'Oust-Ijma, Choukhov avait reçu des colis. Deux fois. Mais lui, par lettre, avait bien expliqué à sa femme que ça servait à rien, donc qu'elle n'en envoie plus, histoire de ne pas retirer aux gosses le pain de la bouche.
En liberté, bien sûr, Choukhov se donnait moins de mal à nourrir toute une famille qu'ici à se nourrir tout seul. Mais il savait ce que ça coûte, ces colis. Il savait qu'il ne pouvait pas, dix ans d'affilée, vivre aux crochets des siens. Alors valait mieux rien.
Mais ç'avait beau être ainsi de par son vouloir, à chaque coup que quelqu'un de la brigade, ou logé pas loin de la baraque, recevait un colis (c'est-à-dire quasiment chaque jour), ça lui griffait le cœur, que le colis ne fût pas pour lui. Et tout ferme qu'il avait été pour défendre à sa femme de lui envoyer rien, même pour Pâques, lui qui n'allait jamais voir la liste clouée au poteau (sauf si c'était pour un riche de la 104), ça lui arrivait d'espérer qu'un zek allait rappliquer dare-dare en gueulant :
- Choukhov, manie-toi : il y a un colis qui t'attend !
Mais personne n'avait jamais rappliqué.
De sorte qu'elles se faisaient de plus en plus rares, les occasions de penser à Tiemguéniovo et à son isba. Du réveil à la retraite, à force que la vie d'ici vous houspille, il n'avait plus loisir de se rappeler.
"