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L'Oeil électrique #14 |

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4livres

Tibor Fischer : Sous le cul de la grenouille
1992, André Balland (réédition J’ai Lu)
Traduit de l’anglais par Sarah Church et Sophie Brunet.

Avec un humour féroce et grinçant, Fischer nous offre un tableau satirique du socialisme à la sauce goulash en enchaînant une série de tableaux, qui vont de la débâcle nazie de l’hiver 1944 à la reprise en main soviétique de l’automne 56. En se proposant de relater les péripéties, dans la Hongrie stalinienne, d’une équipe de basket professionnelle protégée par le régime, l’argument de départ frise le surréalisme. L’équipe Locomotive, emblème sportif des chemins de fer hongrois, va donc sillonner la morne plaine dans son wagon, d’une compétition à l’autre, dans un pays exsangue, successivement pillé par les Autrichiens, les Nazis et les Soviétiques.
Pour Gyuri, figure centrale du roman, fils de bookmaker ruiné par l’inflation, le basket de haut niveau est avant tout une porte de sortie pour fuir le travail en usine, ses trois ans de service militaire et la carte du Parti. Marqué à l’origine du "X" infamant de la petite bourgeoisie, Gyuri peut alors utiliser, avec ses camarades de jeu, ses menus privilèges pour tourner en dérision l’ordre nouveau du marxisme-léninisme, et tromper un quotidien terne et sans avenir par une ébouriffante frénésie fornicatoire.
On s’en doute, le livre est à des lieues d’une quelconque apologie du sport, de l’effort ou du dépassement de soi. Dans sa vision ubuesque et folklorique d’une jeunesse coincée entre la faucille et le marteau, Fischer ressuscite, certes, la sombre période stalinienne des années 50, mais comme revue et corrigée par le regard acide des frères Coen : une vaste fresque sordido-historique trempée dans un humour noir et jubilatoire, même si l’auteur s’autorise parfois à capter quelques scintillants moments d’émotion.
Dresser le portrait de l’adolescence hongroise d’après-guerre, c’est également l’occasion pour Fisher de procéder à une relecture particulièrement savoureuse et politiquement incorrecte des grands mythes officiels de l’Histoire du pays.
Ecrivain anglais, Tibor Fischer est né de parents hongrois fuyant leur pays après les événements de 1956. Sous le cul de la grenouille, son premier roman, publié en 1993 et encensé par Salman Rushdie, révéla un auteur d’Europe de l’Est d’un même calibre que Kundera ou Bohumil Hrabal.

Gianni Ségalotti.

EXTRAIT

"Le train changea d’allure : de lent qu’il était, il se fit plus lent, signe que l’on arrivait à Szeged. C’était – il l’avait vérifié – à 171 kilomètres de Budapest.
Tout à côté de la gare, un haut bâtiment de brique rouge s’affichait maintenant comme hôtel. ç’avait été, nul ne l’ignorait, un des bordels les plus réputés de Hongrie avant que ces antres d’iniquité capitaliste ne soient fermés. Citadins et gens de robe, rustres endimanchés (dans les habits qu’ils ne portaient qu’à l’église, dans le cercueil ou pour se rendre au boxon), négociants et Altesses (uniquement de l’espèce balkanique, il est vrai), tous avaient franchi ses portes.
Aucun doute, c’était un pur hôtel aujourd’hui. Les filles avaient dû être dispersées vers des tâches plus dignes. Gyuri s’en souvenait, le secrétaire du Parti des travailleurs de Ganz en avait fait toute une cérémonie, quand l’usine avait embauché quatre de ces papillons de nuit. En guise de bienvenue, Lakatos s’était lancé dans une ardente dénonciation du répugnant système capitaliste qui avait condamné ces infortunées à la surexploitation sexuelle dans ces bagnes de l’hypocrite dépravation bourgeoise. C’est ainsi que le capitalisme avait perpétué le féodalisme, c’est ainsi que le capitalisme s’était emparé des jeunes prolétaires mâles pour les envoyer à la boucherie de ses guerres mercantiles, c’est ainsi que leurs sœurs avaient été vouées à la prostitution. ç’avait été, surtout pour Lakatos, un superbe morceau d’éloquence. Il l’avait certainement lu quelque part; il récitait sans doute un chapitre du Manuel du parfait Secrétaire: "Comment recevoir à l’atelier des putes en recyclage ?". Celles-ci, vêtues de leurs bleus de travail, avaient sagement écouté ses fulminations. A la fin de sa diatribe, il avait épongé son front emperlé de sueur par l’effort oratoire et disparu dans son bureau tandis qu’on emmenait les filles pour les mettre au courant.
Au bout d’une quinzaine, elles exerçaient de nouveau leur commerce à l’intérieur des énormes rouleaux de fil de cuivre que l’usine fabriquait. L’essence même du communisme, avait conclu Gyuri : rendre à chacun plus pénible à faire ce qu’il fait."