Serge Halimi : L’opinion, ça se travaille
Agone éditeur, 113 pages, 40 francs

Serge Halimi, journaliste au Monde diplomatique, reste dans nos mémoires l’auteur brillant des Nouveaux Chiens de Garde, pamphlet mordant dans lequel il démontait le système de connivences quasi institutionnalisé entre médias et pouvoir politique. Il collabore cette fois avec Dominique Vidal, collègue du même journal, pour décrypter la manipulation intellectuelle orchestrée autour des décisions prises par les membres de l’OTAN durant la guerre du Kosovo : de nombreux organes de presse, devenus eux-mêmes simples relais de la parole officielle, ont choisi la facilité. Suppositions présentées comme informations, diabolisation systématique de Milosevic mais aussi du peuple serbe, et chantage au pathos. L’opinion publique française a été sommée d’adhérer aux images plutôt que de réfléchir. Révoltante est cette dépossession de notre sens critique ; inquiétante même, quand les auteurs nous suggèrent que l’expression de "génocide albanais" – dont chacun connaît aujourd’hui l’exagération – correspondrait au seuil jugé nécessaire par les médias pour s’assurer notre émotion, et par là, notre fidélité…
Le but des auteurs n’est pas en priorité de contester (quoique !) la légitimité politique de l’intervention américaine et occidentale au Kosovo. Leur critique porte d’abord sur le rôle joué par des journalistes ayant abdiqué leurs fonctions d’information et d’analyse. Ceux-ci en effet, semblant avoir oublié le mea culpa rétroactif qui avait suivi la parodie d’information sur la Guerre du Golfe, n’ont pas résisté à une dérive propagandiste. Avec une ironie acerbe mais hélas fondée, Vidal et Halimi pointent l’auto célébration à laquelle se sont livrés la plupart des journalistes pour leur traitement du conflit.
Dans une presse majoritairement aux mains de grands groupes industriels, quelques voix opiniâtres comme celles de Halimi ou Vidal s’élèvent pour écorner la vérité qu’on nous propose. Réjouissons nous qu’elles existent encore.