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L'Oeil électrique #15 |

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Léon Tolstoï : La mort d’Ivan Ilitch (et autres nouvelles, dont Trois morts)
1886, GF - Flammarion
Traduit du russe par M. et M. Eristov, L. Jousserandot, J.W Bienstock et P. Birioukov, M. Tougouchy, M. Cadot.

Un homme est mort. Dans l'antichambre, alors que son cadavre repose, attendant les ultimes honneurs, la comédie sociale se poursuit inexorablement : la veuve agitée règle ses affaires, sa fille, plus contrariée que triste, suspend à contrecœur les préparatifs de son mariage, tandis que les amis du défunt Ivan arborent une mine de circonstance, pressés de retourner à leurs jeux de cartes et désireux d'oublier au plus vite leur mortelle condition.
Ivan Ilitch, de son vivant, a été un magistrat ambitieux, un notable respecté, un mari médiocre et un père indifférent, le tout selon les règles de bienséance implicitement édictées par la bonne société à laquelle il appartient. Mais, ironie du sort, au moment même où il atteint la dérisoire apogée de sa réussite bourgeoise, symbolisée par l'achat d'un appartement qu'il a scrupuleusement aménagé, la maladie le gagne.
Une lente agonie débute, rendue insupportable par l'hypocrisie ambiante - du médecin, de sa femme, de sa fille, de tous - et par l'isolement absolu dans lequel le plonge la souffrance physique. Reste alors la haine envers ceux qui vivent, dont la santé même est une insulte, et la terrible assurance d'une solitude ontologique. Lancinants aussi, le retour sur sa vie passée et le sentiment de vacuité qui en découle ; années d'études, de formation, de rencontres, de vie familiale… Autant d'illusions pour aboutir à ces derniers moments de déchéance, que vos proches redoutent et fuient.
Les interrogations quasi enfantines, et l'intolérable angoisse qu'elles provoquent chez ce personnage qui découvre avec révolte sa propre finitude, sont de celles qui hantent : qu'est-ce que mourir ? Et si notre existence est vide de sens, pourquoi souffrir ? Le coup de génie de Tolstoï tient sans nul doute à la création d'un personnage lisse, incarnation ordinaire et saisissante de cette incapacité métaphysique à penser notre propre mort.

EXTRAIT

Piotr Ivanovitch, un ami du défunt, rend visite à la veuve de celui-ci et ils évoquent ensemble les derniers instants d'Ivan :
- Les derniers jours il a terriblement souffert.
- Beaucoup souffert ? demanda Piotr Ivanivitch.
- Ah, terriblement ! Il ne cessa pas de crier, non pas les trois dernières minutes, mais les dernières heures. Des cris trois jours durant, sans répit pour sa voix. C'était intolérable. Je ne peux pas comprendre comment j'ai pu supporter cela ; on l'entendait à travers trois portes fermées. Ah ! Ce que j'ai enduré !
- Et avait-il encore conscience ? demanda Piotr Ivanovitch.
- Oui, murmura-t-elle, jusqu'aux dernières minutes. Il nous fit ses adieux un quart d'heure avant de mourir, et demanda qu'on fit sortir Volodia.
La pensée des souffrances d'un homme qu'il connaissait si bien depuis l'enfance, l'école, puis comme partenaire de jeu, malgré la conscience de son hypocrisie et de celle de cette femme, cette pensée soudain terrifia Piotr Ivanovitch. Il revoyait ce front, le nez qui pressait la lèvre, et il eut peur pour lui-même.
"Trois jours de souffrances terribles et puis la mort. Mais c'est qu'à chaque instant, à chaque minute, ça peut m'arriver à moi aussi," se disait-il, et l'épouvante s'empara de lui aussitôt. Mais au même moment, et sans qu'il sût comment, lui vint en aide la pensée fort ordinaire qu'il s'agissait d'Ivan Ilitch, pas de lui, et que cela ne devait pas, ne pouvait pas lui arriver ; qu'avec de telles pensées, il s'abandonnait aux idées noires, ce qu'il fallait à tout prix éviter, comme le disait clairement le visage de son ami Shwartz. S'étant ainsi raisonné, Piotr Ivanovitch se calma et s'informa avec curiosité des détails relatifs à la fin d'Ivan Ilitch, comme si la mort était une particularité propre à Ivan Ilitch, mais nullement applicable à lui-même.