Stassen : Déogratias
Dupuis (Aire libre), 80 pages, 77 francs

Déogratias est un jeune Rwandais hutu. En guenilles, il erre dans la ville avec dans les yeux un regard halluciné. Ses rencontres ramènent à la surface des souvenirs du temps d'avant. La vie était paisible et harmonieuse. Oh bien sûr, il y avait certaines tensions entre les Hutus et les Tutsis, mais rien de grave : cela n'empêchait pas Déogratias de flirter avec ses amies tutsies, les deux sœurs Apollinaire et Bénigne. Et puis un beau jour, le président Habyarimana a été assassiné et les autorités ont annoncé à la radio que les Hutus devaient prendre leur machette et aller tuer les Tutsis. Du génocide proprement dit, on ne verra quasiment rien. La presque totalité de cette bande dessinée se situe soit avant soit après le drame. Les deux instances temporelles alternent et se répondent sans cesse ; seul un mince trait noir permet d'identifier l'époque du récit. Aussi mince en vérité que ce qui sépare encore l'esprit de Déogratias de la folie. Car le Hutu Déogratias a mal digéré le génocide : de par ses origines ethniques, il s'est retrouvé malgré lui du côté du manche de la machette. Entraîné par la folie sanguinaire qui l'entourait, il a commis l'irréparable. Reste maintenant à racheter ce qui peut encore l'être. Avec ce livre, Stassen prend le risque d'évoquer l'indicible : le génocide. Un système narratif brillant, un style de dessin original et des couleurs superbes sont les grands atouts qui lui permettent de parvenir à ses fins. Déogratias se distingue par une grande retenue, et la subtilité dans l'évocation du génocide justifie ce projet courageux.