Hassan Zébib (dit Daoud) : Des jours en trop Abou (1) Quassem n'accepte pas le fait accompli : il vieillit. Il soutient avec fermeté qu'il est plus jeune que sa famille ne le croit, que la sénilité ne se mesure pas au nombre de rides. Son grand âge fait de lui l'ancêtre de son village du Sud-Liban mais son esprit n'est pas pour autant amoindri. Il passe sa vie entre la mastaba (2) et son lit et ne reçoit que de brèves visites de ses enfants auxquels il a tout donné, jusqu'aux murs de sa chambre. Ils l'abandonnent à sa condition de père brimé et le regardent froidement sans s'émouvoir de le voir diminué. "Tu sais, dit-il, comme s'il parlait encore à sa femme décédée, ma belle-fille dormira deux heures de plus quand elle saura que je m'en suis sorti cette fois encore." Il s'ingénie à répéter qu'Azraël, l'ange de la mort ne peut rien contre lui. Comme si cette rengaine allait conjurer son destin inévitable… Hassan Daoud nous laisse sombrer dans un récit obsessionnel où un vieil homme lutte contre des enfants avides et un état de dépendance totale. A force de dénigrer la vieillesse, celle-ci l'attire à elle, doucement, sournoisement. Azraël n'est pas loin. Il ne supporte plus cette réalité muette d'une famille sans pitié dont il entend les railleries le soir au coucher. Il n'assume plus ce corps qui le souille. Des jours en trop est une version moderne du Nœud de vipères du romancier François Mauriac, intrigue familiale opposant deux générations redoublant de mépris et d'ingéniosité à tromper un vieillard et à le dépouiller de ses biens. Un texte imprégné du quotidien libanais où le temps apparaît sous son aspect linéaire, comme irréversible. Au-delà de la littérature proprement orientale, ce récit a la force du questionnement universel. (1) Dans le monde arabe, les adultes sont parfois désignés par le mot père (Abou) ou mère (Oum) suivi du prénom de l'aîné. |