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L'Oeil électrique #21 |

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4livres

Henri Barbusse : Le feu
1916, Le livre de poche

La Première Guerre mondiale : lente boucherie, dans le feu, le bruit et la boue. Cette guerre pour laquelle de jeunes soldats partirent, fleurs au fusil, cette guerre destinée à se finir en 6 mois et qui finalement dura quatre longues années, Henri Barbusse y participa. Fidèlement, il retrace la misère quotidienne des soldats, leurs conditions d'origine : hommes très divers (on croise même les tirailleurs sénégalais, victimes du colonialisme, ayant l'insigne honneur de venir se faire trouer la peau dans le pays de l'homme blanc) jetés dans un même chaos. Scrupuleusement aussi, Barbusse retranscrit leur langage, leur argot, les différents patois se mêlant et se superposant, pour mieux les montrer ensuite anéantis dans la Mort. Alors il dit les paysages crépusculaires d'après les combats, jonchés de ceux-là justement dont on écoutait les mots.
Barbusse n'est pas Céline ; Le Feu n'a pas le talent violent des premières pages du Voyage au bout de la nuit, ni son narrateur, l'ironie de Bardamu. L'écriture, un peu plate, manque précisément de souffle et le récit peine à emporter d'emblée son lecteur. Mais le roman vaut d'abord pour sa force documentaire, qui fait revivre ces jours désespérés, où toute vie semble négligeable, suspendue. Au fil des pages, la narration, par sa sincérité, convainc et émeut, dénonçant en filigrane l'insupportable duperie de la propagande patriotique, qui fut à l'époque LE discours officiel, complaisamment relayé par les médias. Face à ce bourrage de crâne angéliste, honteusement décalé, l'œuvre de Barbusse apparaît salutaire, non seulement comme déposition devant l'Histoire, mais comme justice rendue à tous ceux qui moururent, seuls, dans la nuit et la peur ; une forme d'antidote aux propos gouvernementaux mensongers et finalement désinvoltes, qui écartèrent trop rapidement, au nom d'un patriotisme mortifère et crispé, la mort de milliers d'hommes et le chagrin des familles.
Barbusse n'a pas révolutionné la littérature de son temps ou du nôtre, il n'est pas l'inventeur d'un nouveau style ou d'une langue nouvelle. Mais il a fait acte de témoignage, fondant par là une mémoire pour les générations à venir et ruinant par la brutalité et la simplicité même de son roman, tous les militarismes imaginables. N'était-ce pas là une voix digne d'être entendue ?

EXTRAIT

On entre dans le Café de l'Industrie et des Fleurs. (...) Des civils se déplacent et viennent dans notre entourage.(...)
L'instant d'après, l'homme et la femme qui émettent ces commentaires, penchés vers nous, les coudes sur le marbre blanc, nous interrogent :
- La vie des tranchées, c'est dur, n'est-ce pas ?
- Euh...Oui...Ah ! Dame, c'est pas rigolo toujours...
- Quelle admirable résistance physique et morale vous avez ! Vous arrivez à vous faire à cette vie, n'est-ce pas ?
- Mais oui madame, on s'y fait, on s'y fait très bien.
- C'est tout de même une existence terrible et des souffrances, murmure la dame en feuilletant un journal illustré qui contient quelques sinistres vues de terrains bouleversés. On ne devrait pas publier ces choses-là, Adolphe !...IL y a la saleté, les poux, les corvées...Si braves que vous soyez, vous devez être malheureux ?...
Volpatte, à qui elle s'adresse, rougit. Il a honte de la misère d'où il sort et où il va rentrer. Il baisse la tête et il ment, sans peut-être se rendre compte de tout son mensonge :
-Non, après tout, on n'est pas si malheureux...C'est pas si terrible que ça, allez !
La dame est de son avis.
- Je sais bien, dit-elle, qu'il y a des compensations ! ça doit être superbe, une charge, hein ? Toutes ces masses d'hommes qui marchent comme à la fête ! Et le clairon qui sonne dans la campagne : "Y a la goutte à boire là-haut ! "; et les petits soldats qu'on ne peut pas retenir et qui crient : "Vive la France !", ou bien qui meurent en riant ! Ah nous autres, nous ne sommes pas à l'honneur comme vous : mon mari est employé à la Préfecture et, en ce moment, il est en congé pour soigner ses rhumatismes.
- J'aurais bien voulu être soldat, moi, dit le monsieur, mais je n'ai pas de chance : mon chef de bureau ne peut pas se passer de moi. (...) - Chacun son métier, mon brave, dit dans la figure de Tirette, à l'autre bout de la table, un homme dont la physionomie est pavoisée de teintes puissantes. Vous êtes ces héros. Nous, nous travaillons à la vie économique du pays. C'est une lutte comme la vôtre. Je suis utile, je ne dirais pas plus que vous, mais autant.
Je vois Tirette, le loustic de l'escouade, qui fait des yeux ronds parmi les nuages des cigares, et je l'entends à peine dans le brouhaha, qui répond, d'une voix humble et assommée :
- Oui c'est vrai...Chacun son métier.
Nous sommes partis furtivement.