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L'Oeil électrique #24 |

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4livres

Bernard Chambaz : Martin cet été
1995, Pocket

Un jour de juillet 1993, deux gendarmes sonnent à la porte de Bernard Chambaz, professeur et écrivain. Ils viennent lui annoncer la mort de son fils, Martin, tué dans un accident d'automobile en Angleterre.
Un "simple" accident de voiture, et le vide s'installe : une absence brutale, inattendue, injuste (dans l'ordre des choses, les parents ne voient pas mourir leurs enfants…), et puis le reste qui continue, avec un membre en moins… la famille est amputée. Le père de deux enfants - ou plutôt trois enfants, dont un mort - s'installe dans la chambre de son fils pour écrire son absence, ce qui s'est passé quand il était là, ce qui se passe maintenant qu'il n'est plus là, ce qui aurait dû se passer avec lui. Souvenirs de ce que Martin aimait, de ce qu'il lisait, de ses gestes au tennis, de moments, de voyages, de conversations. Tentative de coucher les souvenirs, pour à la fois les garder et les éloigner, pour être sûr qu'ils ne s'estomperont pas.
Le récit est insupportable, et pourtant on continue. Si, devenu orphelin, un père s'est donné la peine de l'écrire - parce qu'on est aussi orphelin à la mort de ses enfants - s'il a ressenti le besoin de le publier, le moins qu'on puisse faire est de le lire. On se sent un peu voyeur peut-être, impuissant c'est sûr, étranger (puisqu'on ne le vit pas), privé du droit de trouver le livre beau parce que c'est une "histoire vraie", et pourtant il est là, publié, livré à tous ceux qui le souhaitent. Le paradoxe est là, dans cette histoire vraie transformée en livre. L'effet ne serait pas le même avec un récit fictionnel… Mais au nom de quoi ? De quel droit ? Un récit que l'on sait "vrai", vécu par son auteur et revendiqué en tant que tel, nous paraît moins supportable qu'une fiction qui dirait pourtant la même chose.

Claire Aubert.

EXTRAIT

Imaginons, tant que l'on peut imaginer. Mais l'accident, décidément, rien à faire. Il est ce qui survient, par hasard, ce qui nous échoit (dans le sens d'une chute, ce qui nous tombe sur la tête comme les cieux des Gaulois). Quand il est 19h45 à Ivry, ce samedi 11 juillet, il est 18h45 à Llangybi. Le ciel est clair, incrusté de petits nuages mauves qui se dépêchent vers les Costwolds. S'il a plu, c'est quelques heures plus tôt; deux ou trois averses entrecoupées d'un soleil timide qui connaît la latitude où il exerce ; si elles sont restées humides, les routes ne sont plus mouillées. Que dire d'autre ?
Sur la route (unclassified) d'Usk à Tredunnoc, une voiture aborde une courbe (ce n'est même pas un virage). James Niklasson tient le volant. Il a dix-neuf ans, je le suppose gai et de bonne humeur à l'image de Gareth - le fils cadet des Johnson, assis à son côté. Martin a pris place sur le siège arrière, derrière Gareth, à côté de deux jeunes filles (je les suppose, etc.). Il a casé tant bien que mal ses longues jambes et bouclé sa ceinture de sécurité. De quoi parlent-ils ? De musique, de baffles et de vibrato ? De leur dernière partie de tennis ? Du film Batman, le retour, qu'ils vont voir maintenant ? Que regarde-t-il, lui, Martin, à cet instant, par les vitres de la voiture ? Sur quoi se posent ses yeux (qu'il avait si beaux) pour finir ? Il se peut que ce soit sur un arbre dans le jardin du Cwrt Bleddyn Hotel ou le ciel derrière une haie d'aubépines. L'instant d'après tout a basculé : la voiture dont James Niklasson a perdu le contrôle, le paysage, l'arbre et la haie; les perceptions des passagers ; le bruit infernal des tôles raclées par le macadam (est-ce qu'on ferme les yeux à cause du vertige et des bruits ?) ; le destin au bout de deux ou trois tonneaux. Voilà. C'est fini. Cette fois, il n'y a rien à ajouter. C'est fini, c'est affreux. Et c'est déjà parfaitement incroyable (unbelievable).
A fortiori n'avons-nous rien vu venir. Ni pressenti, ni perçu le moindre signe prémonitoire. Nuit de samedi à dimanche quiète, à peine agitée par le vin et la queue d'un orage.
Quand je pense que j'ai entendu, ces jours-ci, un documentaire sur l'archéologue anglais lord Carnavon où son fils - un gâteux qui avait bien une fois et demie l'âge du père - se flattait qu'à Londres son chat fût tombé raide mort à l'heure même (avril 1923) où, au Caire, le lord succombait à une piqûre de moustique infectée. J'en conclus certes une théorie des coïncidences mais aussi que je ne vaux pas un chat. Questions insupportables : pourquoi lui ? pourquoi ? Et puis c'est la rentrée des classes, sans lui, les balades à vélo, sans lui, les vacances en famille, sans lui. Est-ce qu'on s'habitue ? Pas sûr.