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L'Oeil électrique #24 |

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4livres

Octave Mirbeau : La 628-E-8
1905, 10/18

Octave Mirbeau fait partie de ces auteurs du début du siècle qui ont rencontré un franc succès en leur temps mais paraissent aujourd'hui un peu désuets. L'écriture a vieilli et trahit une préciosité de la langue parfois énervante. Ce style peut malgré tout plaire quand il n'est pas trop exagéré. Et, précisément, dans La 628-E-8, Mirbeau est assez sobre et cette écriture un peu anachronique correspond finalement assez bien au contenu du livre, qui raconte une époque où la voiture n'était encore qu'un luxe de bourgeois piqué de sport à sensation. Ce qu'on appelait encore "automobile" était alors considéré comme un appareil incroyable, un peu merveilleux, plutôt que comme cet objet allant de soi qui nous est tellement quotidien. Autant dire l'Antiquité !
Mirbeau s'est fait construire une automobile, dont le nom du modèle, 628-E-8, donne son titre au livre. Avec cet engin, et accompagné de son mécanicien Brossette, il entreprend des voyages à travers la France et l'Europe. La voiture lui apporte une liberté de mouvement et son emploi du temps lui permet de flâner sur les routes. A chaque voyage ses escales, et Mirbeau en profite pour décrire les villes qu'il traverse, les gens qu'il croise.
L'un des meilleurs atouts du livre est la façon dont l'auteur décrit, avec une certaine naïveté parfois, mais une vraie lucidité à d'autres moments, les préjugés de l'époque sur les peuples voisins. Le voyage de Mirbeau et ses amis en Allemagne est à cet égard très drôle : ses amis sont effrayés à l'idée qu'ils pénètrent dans un pays de sauvages, à peine civilisés mais fort bien militarisés, et manquent de défaillir en songeant que tout au long de leur périple ils vont croiser des colonnes de soldats sanguinaires sous leur casque à pointe. Mirbeau, qui connaît déjà l'Allemagne, décrit les réactions surréalistes de ses compagnons de voyage avec une certaine délectation. De même, plus tard, la description hilarante mais ô combien condescendante qu'il fait du peuple belge lors d'un séjour à Bruxelles n'est pas sans un petit arrière-goût d'intolérance. Dans ces passages, La 628-E-8 devient un intéressant témoignage sur la situation politique de l'Europe des années 1900, car à la lecture de ces réactions farfelues mais sincères, on comprend un peu mieux ce qu'étaient alors les rapports entre les nations et les peuples. Si l'on pardonne à Mirbeau ses débordements et ses excès, c'est parce qu'on devine, à travers les lignes, que son intelligence politique est plus subtile qu'il n'y paraît au premier abord. Il n'est qu'à voir, par exemple, le bouleversant cri du cœur anti-colonialiste qu'il nous délivre à la fin du troisième chapitre. Ces pages, et quelques autres, justifient un petit tour dans cette 628-E-8...

EXTRAIT

Et cette sensation que, seule, l'automobile peut donner, car les chemins de fer, qui ont leurs voies prisonnières, toujours pareilles, leurs populations parquées, toujours pareilles, leurs villes encloses que sont les chantiers et les gares, toujours pareilles, ne traversent réellement pas les pays, ne vous mettent point en communication directe avec leurs habitants - cette sensation, tout à fait nouvelle, que de fois j'en goûtai la force et le charme, au cours de ce voyage exquis, où je retrouve constamment mon admiration et, je puis le dire, ma reconnaissance pour cette maison roulante idéale, cet instrument docile et précis de pénétration qu'est l'automobile (...).
C'est pour cela que j'aime mon automobile. Elle fait partie désormais de ma vie ; elle est ma vie, ma vie artistique et spirituelle, autant et plus que ma maison. Elle est pleine de richesses, sans cesse renouvelées, qui ne coûtent rien que la joie de les prendre au passage, ici, là, partout où m'entraînent la fantaisie de voir et le désir d'étudier. J'y sens vivre les choses et les êtres avec une activité intense, en un relief prodigieux, que la vitesse accuse, bien loin de l'effacer. Elle m'est plus chère, plus utile, plus remplie d'enseignements que ma bibliothèque, où les livres fermés dorment sur leurs rayons, que mes tableaux, qui, maintenant, mettent de la mort sur les murs, tout autour de moi, avec la fixité de leurs ciels, de leurs arbres, de leurs eaux, de leurs figures... Dans mon automobile, j'ai tout cela, plus que tout cela, car tout cela est remuant, grouillant, passant, changeant, vertigineux, illimité, infini... J'entrevois, sans en être troublé, la dispersion de mes livres, de mes tableaux, de mes objets d'art ; je ne puis me faire à l'idée, qu'un jour, je ne posséderai plus cette bête magique, cette fabuleuse licorne qui m'emporte, sans secousses, le cerveau plus libre, l'œil plus aigu, à travers les beautés de la nature, les diversités de la vie et les conflits de l'humanité.