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L'Oeil électrique #31 |

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4livres

Flaubert : Correspondance
1975, Folio, Gallimard

"Loin de ma table, je suis stupide. L'encre est mon élément naturel." Lettre à Louise Colet.

Se plonger dans la foisonnante correspondance de Gustave Flaubert (1), c'est approcher au plus près un homme et un auteur, l'un étant indissociable de l'autre.
Les admirateurs du romancier apprendront les affres des œuvres en chantier, Madame Bovary ou Salammbô : passionnant de voir de l'intérieur la mise en forme de ces romans et la souffrance du créateur - on sait dans quelle douleur Flaubert accouchait. L'écriture épistolaire fonctionne alors comme miroir, lui permettant un regard réflexif sur ses propres travaux. Mais elle est bien sûr, surtout, l'espace privilégié du dialogue avec l'autre, à une époque où les distances géographiques séparaient longuement les êtres : lettres à sa mère lorsqu'il est en Egypte et qu'il devine ses inquiétudes ; lettres à Caroline, la nièce chérie, et qui donnent l'occasion, entre autres, d'un texte hilarant en "petit-nègre" : Flaubert s'y transforme en tonton gaga ! Liens entretenus avec les écrivains de l'époque : Hugo, le maître, à qui il écrit avec déférence, Baudelaire à qui il exprime son respect après avoir lu Les Fleurs du Mal, Sand à qui le lie une amitié vive et complice, Maupassant qu'il considère comme un fils spirituel. Sous la plume de Flaubert, tous ces auteurs nous deviennent proches, reprennent vie.
La mort affleure à plusieurs reprises, celle de sa sœur ou de son très cher ami Alfred Le Poittevin, qui fait l'objet d'une lettre superbe de pudeur et de fidélité : "Alfred est mort lundi soir à minuit. Je l'ai enterré hier et je suis revenu. Je l'ai gardé pendant deux nuits (la dernière nuit, entière), je l'ai enseveli dans son drap, je lui ai donné le baiser d'adieu et j'ai vu souder son cercueil. J'ai passé là deux jours… larges. En le gardant je lisais Les Religions de l'Antiquité de Creuzer. La fenêtre était ouverte, la nuit était superbe, on entendait un chant du coq et un papillon de nuit voltigeait autour des flambeaux. Jamais je n'oublierai tout cela, ni l'air de sa figure ni, le premier soir à minuit, le son éloigné d'un cor de chasse qui m'est arrivé à travers les bois (…) Quand le jour a paru, à 4 heures, moi et la garde nous nous sommes mis à la besogne (…) Nous lui avons mis deux linceuls. Quand il a été ainsi arrangé il ressemblait à une momie égyptienne serrée dans ses linges et j'ai éprouvé je ne puis dire quel sentiment énorme de joie et de liberté pour lui."
Jamais la lecture ne piétine : on découvre ainsi Flaubert truculent, dans le récit par exemple de son voyage en Egypte, où, sans orientalisme rêveur, il raconte crûment les nuits partagées et la sexualité libérée, loin des regards occidentaux ; satirique, quand il évoque à propos de la légion d'honneur que lui et quelques autres sont susceptibles de recevoir : "On s'enfoncera réciproquement les rayons de l'étoile dans le cul, en manière de réjouissance." Inventif, dans les surnoms dont il affuble ses contemporains : les Goncourt, ces deux frères écrivains, grandes commères de leur époque et auteurs du fameux Journal, sont justement appelés les "Bichons". Hugo est le "Grand Crocodile "ou le "suprême alligator". Lui-même ne s'épargne guère, se décrivant en "vieux troubadour".
Profusion de ces lettres, qui laisse à penser sur le rôle de la correspondance à cette époque ; on y aborde tout, successivement et dans une même missive : les soucis pécuniaires, la passion amoureuse (très belles lettres à Louise Colet), l'amitié, la vie quotidienne, l'horreur de l'âge. C'est ce qui rend jubilatoire la lecture de cette œuvre : on y voit vivre l'auteur, on l'y voit aimer, penser, travailler, écrire, pester, plaisanter.
Il n'y pas de "Grand homme", ce n'est pas la moindre des leçons de cette admirable anthologie.

(1) C'est à Bernard Masson que nous devons cette passionnante anthologie qu'il a réalisée pour Folio - à la fois chronologique et thématique, diverse et cohérente.