Lord Dunsany : Le Livre des merveilles
Terre de brume

Si vous étiez le jeune baron Dunsany, 18e du nom, et que votre famille avait produit 17 générations de fiers militaires au service de Sa Majesté, que feriez-vous ? Eh bien non, le petit Édouard a choisi la plume plutôt que l'épée. Certainement au grand dam de papa, mais pour le plus grand plaisir de ses lecteurs.
Comme ses récits, la personnalité même de Lord Dunsany fait rêver : explorateur, journaliste, professeur et conférencier, il puise son inspiration dans la culture celte, et à travers ses longs voyages de par le monde. Et le bord du monde auquel il fait allusion marque la frontière entre le monde des hommes et le monde féerique. Seuls quelques uns ont passé cette frontière que Dunsany semble avoir cherché toute sa vie durant.
Le Livre des merveilles rassemble 14 nouvelles merveilleuses dans tous les sens du terme. À leur lecture, les lois qui régissent notre monde n'existent plus. On flotte allègrement vers la cité-de-nulle-part sur le dos d'une licorne ailée ; on touche aux émotions extrêmes à travers la joie de celui qui voit la plus belle créature de l'autre monde, ou bien la terreur sans nom du voleur pris au piège par les Gnoles.
On ne revient jamais tout à fait de ce genre de voyage qui laisse effectivement la vague impression que " l'autre monde " est tout près, mystérieux, dangereux aussi, à la fois proche et inaccessible, impalpable... Et même ceux qui, comme votre serviteur, s'essaient à la critique, ne peuvent réfréner une certaine envolée lyrique.
D'ailleurs, les récits du Livre des merveilles, plein d'adjectifs, de superlatifs et de tournures plutôt vagues peuvent parfois perturber la lecture, justement en raison de leur imprécision. Pourtant, c'est le même flou sémantique qui laisse l'imagination suivre son cours, même une fois le livre fermé. Chacun peut alors devenir le metteur en scène de chaque histoire. Essayez voir :
" Le dragon enleva Miss Cubbidge du balcon de la maison de son père, square du Prince-de-Galles, ce balcon peint d'un vert foncé qui devenait plus noir chaque année ; il ouvrit ses ailes bruyantes, et Londres tomba derrière eux comme une ancienne mode. L'Angleterre aussi tomba derrière eux avec la fumée de ses usines et aussi la ronde terre matérielle qui va bourdonner autour du soleil, poursuivie et harcelée par le Temps, et enfin les anciens et éternels pays de la Fiction apparurent à leurs yeux au bord des mers mystiques. Vous ne vous seriez jamais imaginé Miss Cubbidge caressant d'une main un dragon irréel tandis que de l'autre, elle jouait avec des perles apportées du fond des déserts marins... "
Voici donc un livre qui semble avoir été plutôt rêvé qu'écrit, et qui enchantera sûrement les amateurs de féerie de tout poil durant les longues soirées d'hiver.